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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/675

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près. Miss Nelly rassurée retourna au piano, ébaucha une mélodie qui lui passait par la tête, et, trop bonne musicienne pour s’arrêter en si beau chemin, oublia peu à peu toute prudence. Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées que, son chapeau de paille jeté sur le piano, ses gants sur ses genoux et ses tresses rebelles flottantes sur son épaule, elle voguait en plein océan de réminiscences mélodieuses. Elle venait d’achever un morceau et se reposait, quand le bruit d’applaudissemens au dehors parvint très distinctement jusqu’à elle. Les joues en feu, elle s’élança vers la fenêtre juste à temps pour entrevoir une douzaine de figures athlétiques en chemises bleues et rouges qui disparaissaient précipitamment derrière les arbres. — En un clin d’œil, la résolution de miss Nelly fut prise. Nous avons déjà dit que, sous l’empire d’une certaine excitation, elle ne manquait pas de courage, et quiconque l’eût vue remettre ses gants et son chapeau eût compris que ce n’était peut-être pas là le genre de jeunes personnes avec lequel on peut se permettre une plaisanterie quelconque.

Elle ferma le piano, remit toute la maison dans l’état où elle l’avait trouvée, puis se rendit délibérément à la cabane qui dressait sa cheminée d’adobe[1] au-dessus du feuillage, à un quart de mille plus bas. La porte s’ouvrit aussitôt qu’elle eut frappé ; le fou de Five-Forks se tenait devant elle. Miss Nelly n’avait pas encore vu l’homme connu sous ce fâcheux sobriquet, et, tandis qu’il reculait très surpris, elle fut de son côté non moins déconcertée. Ce grand garçon, avec ses joues un peu creusées par le travail ou la souffrance sous une barbe noire, épaisse, et ses beaux yeux brun clair d’une douceur et d’une tristesse inexprimables, n’avait rien de commun avec l’idiot qu’elle s’était attendue à rencontrer. — Il lui fallut changer brusquement de tactique.

— Je viens, dit-elle, — et son sourire était mille fois plus inquiétant que l’air digne qu’elle avait pris d’abord, — je viens vous demander pardon pour une liberté que j’ai prise à votre insu. Je crois que la maison là-haut est à vous. J’en ai trouvé l’extérieur si joli que j’ai laissé mes amies un instant dehors, — un geste artificieux sembla indiquer le point précis de la montagne où l’attendait un bataillon d’amazones tout armé pour la défendre, — et je me suis permis d’y entrer. La trouvant inhabitée, comme on me l’avait dit, je me suis même amusée une minute à jouer du piano en attendant le reste de la société.

Hawkins leva vers elle son regard limpide. Il vit une très jolie fille avec des yeux gris brillans d’émotion, des joues légèrement

  1. L’adobe est un composé de lattes et de terre.