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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/704

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Il est bien clair que c’est là un acte tout personnel, que Cabrera n’a aucun titre décisif pour traiter au nom des chefs carlistes ou dans l’intérêt des provinces livrées à l’insurrection, et il est possible que cette tentative spontanée de médiation qu’on a essayé de travestir et d’atténuer par une divulgation prématurée n’ait point un effet immédiat ; mais Cabrera a gardé un grand prestige dans le monde carliste, dans les provinces où il a conquis sa renommée, où la guerre sévit aujourd’hui ; il a dans l’armée insurgée de nombreux amis, disposés à suivre ses conseils comme des ordres. C’est assurément le coup le plus grave qui ait été porté jusqu’ici à la cause du prétendant, et don Carlos a beau fulminer contre Cabrera, exercer des répressions sanglantes pour empêcher les désertions ; il ne pourra pas contenir longtemps l’immense désir de paix qui se manifeste partout, le mouvement qui a déjà commencé. Les soumissions se multiplient, les députations provinciales refusent les subsides. Le prétendant ne représente plus qu’une guerre d’un succès impossible et inutilement sanglante. Tout tourne en faveur du jeune Alphonse XII, qui représente aujourd’hui la paix pour l’Espagne, et si malgré tout la lutte devait se prolonger encore, ce serait aux chefs de l’armée libérale de précipiter le dénoûment par un dernier et énergique effort.


CH. DE MAZADE.



LE ROMAN REALISTE EN 1875.

C’est une remarque souvent faite qu’entre les formes consacrées de la littérature chaque époque, chaque génération nouvelle en choisissait ou plutôt en acceptait une comme traduction plus fidèle de ses goûts et comme expression préférée de son idéal : ce fut le drame autrefois, c’est aujourd’hui le roman. Sans doute il ne règne pas seul, mais aucun autre genre ne l’égale en faveur, par suite en fécondité. Comme en effet les frontières du roman sont pour ainsi dire flottantes, et qu’il ne dépend guère que du caprice de chacun de les reculer ou de les rapprocher à son gré, nul autre genre ne se prête plus complaisamment à des exigences plus diverses. On l’a vu s’élever jusqu’à la poésie la plus haute et rivaliser avec elle d’ambition et de splendeur, on l’a vu redescendre jusqu’à la farce de la foire, et lutter avec elle de grossièreté dans l’équivoque.. Par l’imprévu de ses combinaisons infinies, par la variété des formes qu’il peut indifféremment revêtir, par la liberté de son allure et l’universalité de sa langue, il convient surtout à nos sociétés démocratiques. Il semblerait toutefois que depuis quelques années il aspirât à se fixer sous une forme définitive, et que, tournant où le vent souffle, le réalisme fût en voie de devenir dans l’art ce que