Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/756

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
752
REVUE DES DEUX MONDES.

cration de vingt années de force morale et de dévoûment absolu ; — puis levant les yeux sur moi : — C’est vous qui avez fait ce larcin d’une habileté surprenante ?

Son regard était si terrible que je sentis la témérité de ma conduite. L’original était sur moi, Salcède était un hercule, il pouvait me forcer à le lui rendre.

Il devina mon anxiété. — Soyez tranquille, me dit-il, je n’userai pas de violence avec vous, je vous rachèterai mon talisman au prix que vous voudrez, car j’y tiens comme à ma vie ; mais je vous le laisserai tant qu’il pourra servir, car il est le complément des preuves d’innocence que j’ai là dans ce bureau. Sachez, monsieur, que je vous méprise profondément, et que s’il s’agissait de moi seul je vous chasserais de chez moi sans vous répondre ; mais ici il s’agit de l’honneur d’une femme pure et de l’avenir de ses deux fils, également légitimes. Vous allez donc prendre la peine de voir toutes les lettres de Mme de Flamarande à Mme de Montesparre, afin de vous convaincre que vous n’avez aucune preuve contre Mme la comtesse, et que vos tentatives pour la flétrir tourneraient à votre confusion. Lisez !

Il ouvrit le bureau et voulut m’y faire asseoir, je refusai. — Toutes ces lettres ne signifient absolument rien, lui dis-je ; je connais toutes celles qui ont été écrites avant 1850. C’est dans la nuit du 27 mai 1850 que j’ai ouvert ce bureau et que j’ai lu tout ce qu’il contenait ; c’est dans la matinée du 28 que je profitai de votre sommeil, ici, dans cette chambre, sur ce lit, pour vous ravir la preuve suprême et y substituer mon autographe. Les lettres que vous avez pu recevoir depuis ce jour-là ne prouveront pas plus que celles adressées jusqu’alors à Mme de Montesparre. Ce n’est pas à une rivale, si généreuse qu’elle soit, qu’une femme prudente, placée dans de si graves circonstances, confesse la vérité. Je pourrais vous citer de mémoire des passages entiers de ces lettres, qui sont une habile dénégation en même temps qu’une équivoque passionnée à votre adresse ; aucun juge d’instruction ne pourrait voir clair dans cette correspondance, dans la subtilité des expressions, dans le ton général attribuable aussi bien aux transports de la maternité qu’à ceux de l’amour. Si depuis cette époque Mme la comtesse a encore écrit à son amie, si elle vous a écrit à vous-même, je ne doute pas qu’elle n’ait gardé la même attitude et qu’elle n’ait observé la même prudence, puisque vous m’offrez de tout lire ; mais ce que vous ne me montrerez pas, ce sont les lettres ou billets particuliers qui ne passaient point par les mains de la baronne, qui n’étaient pas autrefois dans ce bureau, et dont les quatre mots conservés sur votre cœur sont le résumé énergique.

Je plaidais comme un avocat, avec la ténacité de la conviction, et