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Dans cette investigation rapide, il ne saurait être question des petits cours d’eau dont la canalisation ne satisferait que des intérêts locaux; nous avons plutôt à nous occuper des grandes lignes qui desservent les pays de grosse industrie ou qui amènent aux ports de mer les productions de l’intérieur. Ainsi que l’on considère en particulier la situation de Marseille. Tant que cette ville ne communique avec le centre de la France et avec le reste de l’Europe occidentale que par des chemins de fer, elle court le risque de se voir enlever la suprématie commerciale par les autres ports de la Méditerranée, tels que Gênes, Trieste, Venise ou Brindisi; mais Gênes serré contre la mer par les Apennins, Venise entourée par les montagnes de la Suisse et du Tyrol, Trieste bloqué par les Alpes noriques, Brindisi au fond de la Calabre, quoique accessibles par des railways à forte pente, n’ont rien à attendre des canaux, tandis que Marseille peut devenir la tête de ligne d’une voie navigable qui se dirigerait d’un côté sur Paris et Le Havre, de l’autre côté sur l’Allemagne par Mulhouse et sur la Belgique par la Meuse. Comme entrepôt de transports économiques, Marseille n’aurait plus à redouter que la concurrence des ports du Danube, concurrence redoutable assurément, car le gouvernement autrichien améliore le cours de ce fleuve, et en même temps les Allemands du nord préparent un réseau de canaux entre Vienne, Dresde, Berlin et Francfort. Ne perdons pas de vue que les fleuves ont la puissance de détourner le trafic, au point que des marchandises parties de Paris à destination de la Mer-Noire ont pris la route d’Anvers et de Gibraltar, au lieu de passer par Marseille.

L’étude qu’il s’agit de faire ici se simplifie d’abord par l’examen d’une carte géologique. Au centre de notre pays se dresse un massif de terrains granitiques dont les cours d’eau ont tous une allure torrentielle. Cette région comprend une dizaine de départemens d’où les canaux sont exclus. Le seul usage que l’on puisse y faire des rivières est de les accommoder aux irrigations ou de leur faire produire de la force motrice. Tout au contraire de ce massif, qu’Élie de Beaumont appelait le « pôle d’ignorance de la France, » Paris, le pôle de la civilisation, est le centre indiqué par la nature d’où rayonnent les voies navigables, vers l’ouest par la Seine, vers le nord par l’Oise, à l’est par la Marne, au sud par le canal d’Orléans. Entre Paris et la Belgique, il n’y a pas de difficultés sérieuses, pas plus qu’entre Paris et l’Allemagne ou la Suisse, pourvu que l’on contourne les Vosges et le Jura. Vers l’ouest encore, nous possédons deux grands ports de commerce, Nantes et Bordeaux, par où nous arrivent les provenances du Nouveau-Monde. Nantes a pour débouché naturel la vallée de la Loire. Bordeaux, qui possède déjà la Garonne et le canal du Midi, peut être doté d’une seconde voie fluviale,