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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/790

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plus circonspects, et l’on voudrait même bannir toute poursuite de l’idéal. C’est aller trop loin. Il ne faut pas abandonner la recherche d’un ordre meilleur réclamé par la nature, les droits et la destinée de l’homme ; mais il faut consulter les leçons de l’expérience. C’est à ce titre que l’histoire des institutions est si utile et constitue la véritable histoire philosophique.

Les guerres, les intrigues, les succès et les revers des princes, le drame historique, en un mot, amuse comme un roman ; mais il instruit peu, parce qu’il n’y a point de lois à déduire de faits où les volontés mobiles, les passions, les caractères infiniment variables des hommes, jouent le principal rôle. En étudiant les institutions au contraire, nous pouvons découvrir les conséquences qui en résultent et l’ordre qui préside à l’évolution des sociétés. Nous voyons aussi quelles sont les véritables lois naturelles. Autrefois on entendait par ces mots : « droit naturel, » tantôt le droit, qu’on supposait avoir été établi par les hommes « sortant des mains de la nature, » tantôt le droit idéal, conforme à la justice et perçu par la raison, c’est-à-dire le droit rationnel. Dans l’un comme dans l’autre sens, l’idée de ce que c’est que le droit naturel variait d’après les opinions de l’écrivain qui s’efforçait de la préciser, et elle ne reposait sur aucun fait positif. Maintenant on cherche à reconstituer le droit naturel, non pas hypothétique, mais historique, et on y parvient par la méthode des études comparées qui ont donné de si merveilleux résultats dans le domaine de la philologie et de la mythologie. On arrive ainsi à se convaincre que toutes les races ont, à un certain moment de leur développement, eu des coutumes semblables, et que celles des tribus les plus sauvages ont été pratiquées jadis par les ancêtres des peuples aujourd’hui les plus civilisés.

L’examen des institutions primitives est également intéressant parce qu’elles permettent de saisir les instincts primordiaux de l’homme en fait de droit. Pour comprendre l’origine et les lois du développement de la vie, le naturaliste étudie les organismes les plus rudimentaires ; de même pour découvrir les lois qui président au développement de la civilisation, la sociologie doit examiner les formes d’organisation des sociétés primitives. Dans son beau livre, Ancient Law, sir Henry Maine nous a fourni le modèle de ce genre d’investigations. Ce qui donne tant d’intérêt aux publications de cet éminent écrivain, c’est qu’il joint aux vues philosophiques les plus élevées la connaissance exacte des détails et une érudition très sûre et très vaste. Professeur de droit à l’université d’Oxford, il a pu approfondir l’esprit des lois anglaises et du droit romain, et, investi d’une haute fonction judiciaire dans l’Inde, il y a étudié sur place les coutumes de ce pays. Dans son ouvrage sur le droit ancien, il