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Irlande. » C’est bien là une des causes principales qui donnent naissance à la propriété privée. Quand le nombre des ayant-droit devient trop considérable, la part qui revient à chacun dans le domaine commun est trop exiguë pour la culture extensive qui se pratique. Il faut passer à un mode d’exploitation exigeant des améliorations permanentes, du capital immobilisé dans le sol, et cela ne se fait qu’avec la garantie d’une jouissance héréditaire ou de très longue durée. De là résulte l’occupation individuelle, permanente et transmissible dans la famille. Le partage périodique, annuel ou trisannuel, ne permet évidemment qu’un système de culture très rudimentaire, peu productif par conséquent et exigeant ainsi une vaste étendue de terrain.

Dans un autre manuscrit irlandais plus ancien que le Lebor na Huidre, et qui porte le titre de Liber Hymnorum, il est question d’un mode de jouissance du sol qui rappelle exactement celui qui est encore en vigueur dans les allmenden de la Suisse, l’allotement périodique à chaque famille d’une part dans la tourbière, dans la forêt et dans la terre arable. Le weide, wald und feld de la marke germanique répond au bog land, wood land and arable land de la tribu celtique. Le Liber Hymnorum (probablement du XIe siècle) contient le passage suivant : « Très nombreux étaient les êtres humains en Irlande à cette époque (c’est-à-dire au temps des fils d’Aed Slane, de l’an 651 à 694), et leur nombre était si grand qu’ils ne recevaient plus en partage que trois fois neuf billons de terre, à savoir neuf billons de tourbière, neuf de forêt et neuf de terre arable. » Chaque famille de l’allmend suisse reçoit aussi un nombre plus ou moins grand de parcelles dans chacune des zones du domaine commun. On voit clairement dans ce passage au Liber Hymnorum que c’est l’accroissement de la population qui a mis fin aux partages périodiques de la possession collective. Tacite, en décrivant les mœurs des Germains, montre aussi très bien le rapport intime qui existe entre la culture extensive et la possession temporaire du sol. « L’étendue de leurs champs, dit-il, facilite ces partages, » et il ajoute : « Ils ne luttent point par le travail avec la fertilité du sol, qui ne porte que du blé ; ils changent chaque année le terrain de culture, et il en reste qui n’est pas occupé. »

Le système de succession en usage parmi les Celtes irlandais, et que les juristes anglais ont appelé gavelkind, ressemble à celui qu’on rencontre encore aujourd’hui dans les communautés de famille ou zadrugas serbes. Quand un propriétaire membre du sept ou clan irlandais meurt, le chef fait une distribution nouvelle de toutes les terres du sept entre les différens ménages, qui obtiennent ainsi un plus grand nombre de lots. L’hérédité en ligne directe