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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/145

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remontrances des députés de Rome qui le rejoignirent à Montefiascone ; et qu’il renvoya spirituellement en disant : « Soyez les bienvenus, mes enfans ; le Saint-Esprit m’avait conduit à Rome, le-Saint-Esprit m’en fait sortir pour l’honneur de l’église. »

Cette fuite du pontife aggravait la question ecclésiastique. Au commencement du siècle, le transfert du saint-siège, par la volonté puissante de Philippe le Bel, après les violences du règne de Boniface VIII, avait pu paraître une retraite prudente sous le manteau du roi de France. Mais on avait espéré que cette absence serait courte. Maintenant, en revenant à la France désolée par la guerre anglaise, pillée et brûlée par les grandes compagnies, Urbain semblait renoncer pour toujours à l’Italie et abdiquer, par un acte de désespoir, au nom de l’église, le siège séculaire de Rome. Certes, les Italiens avaient tout fait, depuis-longtemps, pour rendre la maison de saint Pierre inhabitable aux papes. De Charlemagne à Boniface VIII, on ne trouverait pas dix pontifes qui n’aient été persécutés, outragés par le peuple romain ou les nobles, chassés, rappelés, chassés de nouveau, parfois à coups de pierres, sans cesse humiliés parle Capitole, toujours effarés et tremblans en face de ces barons dont les tours se dressaient comme une forêt sur la ville et allaient, à travers le désert de la campagne, des murs de Rome aux monts de la Sabine et à la mer ; La papauté fit son exode, et l’Italie, Dante le premier, cria à l’apostasie. Dans le puits où il plonge les simoniaques, la tête en bas, Dante a marqué la place de Clément V, par-dessus Boniface VIII et Nicolas III. On n’imagine point avec quelle impatience les Italiens soumirent l’église d’Avignon. Ils rendirent odieux ou ridicules des pontifes qui comptent parmi les meilleurs ; les plus savans et les plus humains du moyen âge. Ils apprirent avec joie d’un nécromant que Clément V brûlait au fin fond de l’enfer. Ils ne voulurent point reconnaître en Jean XXII le restaurateur des études dans les grandes écoles de l’Occident et jusque dans les collèges latins de l’Arménie. Ils prêtèrent au modeste Benoit XII cette parole, le jour de son élection : Avete eletto un asino ; puis, ils inventèrent pour lui le proverbe : Bibere papaliter, boire en vrai pape. Eux qui avaient donné à l’église Boniface VIII et tant de papes étrangers à l’esprit de l’Évangile, ils accusèrent Clément VI d’être poco religioso, oubliant la charité du pontife français, au cours de la peste noire d’Avignon, et le courage qu’il avait eu d’arracher les juifs aux cruautés de l’inquisition, « les povres juifs, dit Froissart, ars et escacés (chassés) par tout le monde, excepté en la terre de l’église, dessous les clés du pape. » Pétrarque se moqua fort agréablement d’Innocent VI, de qui il recevait, sans se plaindre, des bénéfices et des canonicats ; à l’entendre, ce pape prenait Virgile pour un magicien et son ami Pétrarque lui-même