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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/149

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légitime, par l’agitation des petites sectes, si bruyantes jadis, à l’époque du grand mouvement de foi franciscaine. Les fermens d’hérésie qui pullulaient alors au nord des Alpes eussent été apportés en Italie et semés le long des chemins par les bandes de flagellans et les fanatiques de toutes sortes ; la prédication de Wiclef, le demi-islamisme des Begards de Hongrie, le théisme des Patarins dalmates, le mysticisme impudique des Adamites de Paris, eussent été d’un exemple bien séduisant pour une contrée qui n’avait oublié ni les révoltes de Segarelli de Parme et de Dolcino de Novare, ni la théorie récente en vertu de laquelle Marsile de Padoue dépossédait l’église de son royaume terrestre. Quant aux puissances séculières de la péninsule, elles étaient encore, dans cette situation si difficile, un élément fort dangereux. En effet, les tyrans du XIVe siècle, qui s’efforçaient, sur presque tous les points, d’asseoir le régime personnel, avaient tout à gagner à la chute de l’église dont la tradition avait longtemps favorisé le parti communal et national. La déchéance politique de l’antipape, Rome dépossédée de tout crédit sur les choses temporelles, étaient pour la tyrannie naissante une fortune incomparable. Un tyran athée et cruel, tel que Bernabo Visconti, eût conduit par la main, à Saint-Jean de Latran, l’antéchrist en personne, afin de demeurer tout à son aise le maître de Milan et la terreur de l’Italie.

Dans la lettre d’adieu qu’il écrivit, de Montefiascone, aux Romains, le 26 juin 1370, Urbain V eut le sentiment des crises religieuses qui suivraient peut-être le retour de la papauté à Avignon. « Mon départ, leur disait-il, est pour vous la cause d’un grand deuil, et vous pouvez craindre que jamais mes successeurs ne rentrent dans Rome. Je serai toujours avec vous en esprit, tant que vous persisterez dans la dévotion un saint-siège ; de loin je penserai à vous avec une sollicitude paternelle ; c’est aux chrétiens fermes et sages à supporter pacifiquement mon exil. « Il mourut six mois plus tard. L’Italie crut que Dieu l’avait frappé, et Pétrarque écrivit : « Le pape Urbain eût compté éternellement parmi les hommes les plus illustres, s’il avait fait déposer son lit de mort sur les marches de l’autel de Saint-Pierre, et s’il s’était alors endormi avec la conscience en paix, prenant à témoin Dieu et le monde que si jamais un pape désertait encore Rome, la faute d’une fuite si honteuse ne serait, pas à lui, mais à Dieu lui-même. » Or ce que Pétrarque disait, en ces dernières années de sa vie, était pour l’Italie parole d’évangile. Il avait toujours proclamé, en une langue magnifique, la pensée de l’heure présente, dont ses compatriotes n’avaient qu’une notion vague et, en quelque sorte, douloureuse. A l’Italie dévorée, par la guerre civile, il avait longtemps crié : Io vu gridando pace ! pace ! pace ! Il avait toujours chanté la gloire de