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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/192

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tout moment que les États-Unis ne se trouvent contraints de prendre part à la guerre pour défendre leur commerce et pour résister aux exigences du directoire. Le gouvernement anglais a aussi les siennes, et il ne méconnaît pas les griefs de son pays envers la Grande-Bretagne ; mais il s’effraie à la pensée de prendre parti contre l’Angleterre, de se liguer « avec ceux dont les mains sont encore rouges du sang de celui qui fut notre réel protecteur. « Il s’inquiète des moindres démarches de son successeur Monroë, de Pinkney qui est à Londres.

Morris retourna à Hambourg en juin 1796 ; il y retrouva Mme de Flahault, qui lui fit part de ses projets de mariage avec M. de Souza. Il y vit le jeune duc d’Orléans, pour lequel il ressentait un vif intérêt, ayant été traité, pendant son séjour en France, avec beaucoup de bonté par sa mère, la duchesse d’Orléans. Sans longtemps s’arrêter à Hambourg, il alla en poste à Berlin. Les commérages de la cour et du corps diplomatique à Berlin ne valent guère la peine qu’on s’y arrête, non plus que ceux de la petite société d’émigrés français qui se trouvait en Prusse en 1796. Avec Haugwitz, les conversations ont plus d’intérêt ; l’empire germanique n’était plus qu’un nom, mais un nom utile à qui saurait s’en servir ; le vieux Fritz l’avait bien compris : la prise de Mayence ouvrait aux armes françaises le cœur de l’Allemagne, et le sort de l’Europe était aux mains de la Prusse. Morris observait que l’intérêt prussien n’allait pas jusqu’à trop affaiblir ni à renverser entièrement la puissance autrichienne ; que l’extension de la puissance française, si agréable qu’elle pût être pour les Américains et les républicains, ne pouvait l’être autant pour les souverains de l’Europe ; que la république les traiterait quelque jour aussi peu respectueusement que l’ancienne Rome traitait les rois. Haugwitz prenait un air soucieux, mais disait qu’il fallait « voir venir. »

Pendant sa visite à Berlin, Morris envoya une série de lettres à lord Grenville, qui lui avait demandé de lui écrire. Il lui montre l’état de confusion de l’Europe ; suivant lui, l’Angleterre doit chercher l’assistance cordiale de la Prusse et ne pas craindre de l’acheter chèrement, par l’abandon du Hanovre. Il est inutile, à cette distance, de donner tous les détails de son projet ; l’idée maîtresse consistait à lier intimement l’action de l’Angleterre et de la Prusse, sans affaiblir trop l’empire, à qui on donnait la Bavière, contre le Milanais, laissé au roi de Sardaigne.

Dans une lettre à lord Grenville, il dit : « Ils tremblent ici devant le knout, et, s’ils pouvaient se persuader que l’impératrice de Russie vive encore dix ans, ses désirs deviendraient leur loi… » Le cabinet de Berlin se figure que la France ne les molestera pas. Ce n’est pas son avis : « Je ne mets pas en doute que la France,