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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/220

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tort de juger une doctrine, la vôtre, ou celle de vos maitres, sur et par les conséquences qui m’en semblent résulter, comment avez-vous raison, vous, d’attaquer mon opinion au nom des conséquences qu’il vous plaît d’en tirer ? A moins peut-être qu’une méthode, illégitime quand c’est moi qui m’en sers, ne devienne « scientifique » aussitôt que vous me l’empruntez. Et, « c’est bien quelque chose à peu près de cela. » Oui, comme ils parlent tous les deux au nom de la « science » et de la vérité, M. Anatole France et l’anonyme de la Revue scientifique ne sont pas responsables du sens « que le vulgaire va donner à leurs découvertes ou à leurs théories ; » mais, je le suis, moi, des interprétations qu’ils donnent de mes idées. Et, en effet, ils ne sont pas, eux, « le vulgaire ; » et je ne parle pas au nom de la « science, » mais seulement pour la morale et pour l’humanité.

Car je viens maintenant à la vraie question, et, la dégageant de cette polémique, je la pose de nouveau comme j’avais cru la poser en parlant du Disciple. Il ne s’agit pas, en effet, « d’imposer une orthodoxie on matière de science, une sorte de doctrine officielle, pour la physique comme pour la métaphysique, dont il ne serait pas permis de s’écarter ; » il ne s’agit pas même de montrer au penseur « qu’il commet une mauvaise action quand il néglige les conséquences que l’on pourra tirer de ses écrits ; » ou, du moins, cela dépend de l’espèce du penseur, et je ne dis pas de la nature, mais de l’ordre de ses pensées. Ainsi, je ne crois pas qu’un géomètre ou qu’un chimiste ait à se préoccuper des conséquences que l’on tirera de ses pensées sur l’isomérie ou sur l’accélération séculaire du mouvement de la lune. Mais déjà, sur la question de l’égalité ou de l’inégalité des races humaines, j’estime que l’anthropologiste ne saurait être trop prudent, puisque la question même, étant hypothétique, ne saurait être susceptible d’une solution vraiment « scientifique. » Et, pour les penseurs dont les spéculations, comme celles du moraliste ou de l’économiste, roulent pour ainsi dire sur la conduite humaine, ceux-là, plus j’y songe, et moins je vois comment ils pourraient se soustraire à la considération des conséquences de leurs doctrines. Non ! en vérité, on n’a pas le droit de traiter le problème de la population, ou celui de l’offre et de la demande, encore bien moins celui du libre arbitre ou de la responsabilité morale, sans avoir égard aux conséquences que traîneront après elles, quelles qu’elles soient, les solutions que l’on en proposé. Et pourquoi n’en a-t-on pas le droit ? C’est que, s’il y a des questions, je ne dis pas étrangères, mais extérieures à l’humanité, — comme celles de l’origine des espèces animales ou de la formation du système du monde, — il y en a, comme les questions habituelles de l’économie politique et de la morale, qui, nées en quelque sorte au sein de l’humanité, n’existant que par elle et pour elle, ne peuvent donc être résolues qu’en elle et par rapport à elle. Je suis étonné que cette