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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/332

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déterminés par leurs causes, ils ne sont pas déjà « contenus » dans la définition même de ces causes, ni eu simple équivalence avec elles. Les déterministes ont donc raison de dire que les effets des volontés ont toujours des causes, mais les partisans du libre arbitre ont raison de dire qu’ils ne sont pas déterminés conformément à la loi ! toute physique de « l’équivalence entre la cause et l’effet. » Si M. Wundt veut dire qu’il y a réellement création d’énergie dans l’ordre mental, il est bien difficile de comprendre sa théorie ; mais, s’il veut dire que l’équivalence mécanique qui subsiste partout entre la cause et l’effet, physiquement considérés dans la balance de la quantité, n’empêche pas le progrès perpétuel dans l’ordre mental, où apparaissent des qualités nouvelles et toujours plus précieuses, sentiment, pensée, volonté, amour, — nous croyons que cette doctrine sera, en effet, de plus en plus dominante dans la philosophie future.

Pour montrer qu’on ne pourra jamais déduire l’avenir du passé, ni conséquemment limiter l’avenir par le passé même, M. Wundt invoque une loi qu’il considère comme d’importance majeure en morale et en métaphysique, à savoir le caractère imprévu et « hétérogène » des effets réels par rapport aux effets prévus. C’est ce qu’il appelle la « loi de l’hétérogénéité » entre les volontés et les résultats. Toute action volontaire produit des conséquences qui dépassent toujours plus ou moins les motifs qui l’ont déterminée : tel homme qui agit par une ambition toute personnelle peut amener, sans l’avoir prévu, des résultats utiles à son pays, non pas seulement à lui-même ; tel autre qui, au contraire, a voulu rendre des services au pays peut aboutir à des conséquences nuisibles. De là cette loi, que le résultat dernier de nos actions dans la réalité n’en a jamais été le véritable motif dans notre esprit. Voyez ce qui se passe quand un corps tombe dans une masse d’eau tranquille : un cercle se dessine à la surface, puis donne naissance à un autre plus grand qui l’enveloppe ; en même temps la première onde s’étend comme si elle cherchait à gagner la seconde ; mais, avant qu’elle l’ail rejointe, celle-ci est bien loin, et déjà une troisième onde s’est formée qui, quand la seconde cherche à la rejoindre, fuit à son tour. Aviez-vous prévu et voulu tous ces effets en jetant la pierre ? Non, vous aviez voulu seulement atteindre tel point précis, et vous avez produit des ondulations qui vont à l’infini. Pareillement, les résultats de nos actions s’étendent bien au-delà du motif ; quand nous avons pris conscience de ces suites que nous n’avions pas prévues, nous élargissons désormais notre motif, mais le nouveau résultat dépasse encore notre prévision, et, à mesure que celle-ci s’en rapproche, il s’en éloigne davantage.