Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Du champ de bataille ce facteur moral, force principale de notre arme, qui échappe à la conception moderne, trop exclusivement préoccupée de la physionomie matérielle et scientifique de la guerre.

Ainsi, malgré les perfectionnemens de l’armement, la cavalerie, dans le combat, a gardé son rôle et sa part d’action. Mais de cette vérité il ne suffit pas d’affirmer le principe ; il importe surtout de montrer l’application. Pour cela, il faudrait pénétrer sur un champ de bataille moderne, en saisir les détails saillans, en percevoir les manifestations rapides, en étudier les phases successives et, dans chacune d’elles, définir la participation de la cavalerie. Une telle évocation ne pourrait être complètement réalisée que par un soldat doublé d’un poète ; cependant l’analyse en est faisable.

Car la bataille, quels que soient les temps et les lieux, repose toujours sur une combinaison de forces matérielles et morales, celles-ci servant celles-là. En somme, c’est une progression d’efforts et une alternance de sentimens. Les renforts, les soutiens, les réserves viennent peu à peu se fondre en la première ligne ; la confiance succède à l’inquiétude ou l’enthousiasme à la terreur.

Ce n’est donc pas seulement la bataille classique qu’il faut décrire, c’est la bataille vraie et éternelle, fondée sur l’équilibre des facteurs matériels et moraux ; — la bataille des nombres, des armemens, des intelligences, des muscles et des nerfs… telle enfin qu’elle a toujours été et que toujours elle sera.

En quelques pages, nous allons essayer de résumer ce puissant tableau.


C’est d’abord le prélude. Dans ce recueillement, ce demi-silence qui précèdent d’ordinaire les grandes choses, on n’entend au loin, — trépidation vague, allant crescendo, — que le roulement lourd des canons, la marche pesante des colonnes. Sur un front de plusieurs lieues, les masses profondes, drues et épaisses, se concentrent. Telles des nuées d’orage dont les feux bientôt embraseront l’atmosphère.

Tout à coup, sur une croupe lointaine, un éclair jaillit, aussitôt suivi d’un léger nuage. Se répercutant à travers l’espace, le premier coup de canon jette son grondement prolongé. C’est le signal : signal à la fois éclatant et lugubre, électrisant les vaillans, terrifiant les timides ! Rapidement, sur tous les points de l’horizon, les batteries galopent, prennent position, ouvrent le feu. L’air est ébranlé d’un grondement profond et continu. La bataille commence par une gigantesque lutte d’artillerie.

Et l’éventualité de ce prélude de l’artillerie n’est point douteuse. Déjà en 1870, à Sedan, l’artillerie allemande, protégée par les