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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/358

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Autour des armées en lutte elle rôde comme un lion avide,.. quœrens quem devoret !

« La cavalerie, dit Napoléon, doit être employée au commencement, au milieu, à la fin des batailles, selon les circonstances[1]. » Et à Marengo, à Aspern, à Eylau, à Wagram, à Borodino, il met ce précepte en pratique avec une surprenante vigueur. C’est que ce grand homme de guerre tenait toujours ses réserves de cavalerie puissamment concentrées. Loin de les disséminer par groupes inutiles, il les voulait toujours massées, compactes, prêtes à entrer en scène avec leur summum de force matérielle et d’effet moral. Point d’hésitations ni de lenteurs ; c’était une apparition théâtrale et superbe, irrésistible. Et comme il prenait soin de donner au chef de sa cavalerie des instructions générales, mais très claires ; comme il savait le diriger par avance sur le point le plus propice à son action, cette irruption foudroyante n’était pas simplement le résultat d’une inspiration géniale ou d’un hasard heureux ; c’était la conséquence logique d’une conception saine et forte, la résultante naturelle de l’enchaînement des faits : « Attendre, pour faire donner la cavalerie, la fin de la bataille, écrivait-il encore, c’est avoir les notions les plus fausses de la guerre et n’avoir aucune idée des charges combinées de l’infanterie et de la cavalerie, soit pour l’attaque, soit pour la défense[2]. » Jamais il n’était obligé, comme cela s’est, vu en 1806 et en 1870, « d’envoyer chercher » la cavalerie[3]. D’elle-même elle se ruait, portée par la force même de son impulsion à devancer le moment de l’attaque. Si parfois il intervint, ce fut pour la contenir.

Depuis les guerres napoléoniennes, cette action en masses, cette tactique de décision, semblent être tombées dans un profond oubli. Pourtant la cavalerie prussienne, à partir de 1815, parut y faire un judicieux, mais fugitif retour. Les guerres du premier empire avaient été pour elle une révélation. Ses généraux s’étaient rendu compte que la cavalerie française, bien qu’inférieure, au début, en nombre et en instruction, devait à cette concentration à outrance, à l’audace qu’elle y puisait, ses plus beaux succès. Après la campagne, en une consultation demeurée célèbre, Blücher réunit leurs avis. Tous s’accordèrent à représenter la dissémination des forces de la cavalerie prussienne comme la principale cause de ses

  1. Napoléon, Mémoires.
  2. Ibid.
  3. « A Vionville on dut envoyer chercher la 6° division de cavalerie pour la mettre en ligne. — A Gravelotte on dut faire venir la Ire division de cavalerie dans des conditions impossibles ; cela est une véritable monstruosité tactique.