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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/426

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aurait témérité à entreprendre aujourd’hui un travail dont la valeur pourrait d’un jour à l’autre se trouver amoindrie par la découverte de faits nouveaux.

Du moins, qu’il nous soit permis d’esquisser l’histoire psychologique d’une période de la vie de Beethoven pour laquelle les documens abondent et dont la simplicité relative rend l’étude plus facile : de la période d’enfance et de jeunesse, que clôt naturellement l’installation définitive à Vienne, en 1792. Ce n’est pas l’époque des plus belles œuvres ; c’est, en revanche, celle où se sont formées toutes les qualités du cœur et de l’esprit de l’artiste, celle où il a acquis le germe des principes et des sentimens qui l’ont ensuite dirigé.


I

Louis van Beethoven est né à Bonn, le 16 décembre 1770. Mais avant d’étudier les premières circonstances qu’il eut à traverser et l’effet qu’il en a dû recevoir, ne convient-il pas de chercher à déterminer l’héritage intellectuel et moral que lui ont pu léguer ses parens ?

Son grand-père, Louis van Beethoven, était Flamand d’origine et de naissance. Descendant d’une famille de propriétaires campagnards des environs de Louvain, il était né à Anvers, en 1712. A dix-huit ans, il s’était enfui de la maison paternelle ; il avait été pendant trois mois chantre et maître de chapelle à Saint-Pierre de Louvain, puis était venu à Bonn, où l’archevêque-électeur de Cologne demeurait et tenait sa cour. En 1732, Louis van Beethoven obtenait le titre de musicien de la cour ; en 1736, il acquérait à Bonn le droit de cité ; en 1761, il devenait directeur de la chapelle électorale, et il s’acquittait de ses fonctions jusqu’à sa mort, avec un zèle, une conscience et une autorité dont on a conservé mainte preuve. Il est mort en 1773, trois ans après la naissance de son petit-fils Louis, qu’il adorait, et dont il s’était promis de faire l’éducation. C’était un homme de taille moyenne, sec et trapu, avec des traits fortement dessinés, des jeux clairs, mais d’une extrême vivacité. Sa science et son aptitude musicales paraissent avoir été considérables : et sans avoir lui-même écrit d’opéra, il a dû plus d’une fois faire office de compositeur pour adapter aux ressources de la chapelle de Bonn les œuvres que l’on y jouait. Une grande énergie, un sentiment très élevé du devoir, se joignaient chez lui à un bon sens et à une dignité de manières qui lui avaient valu le respect universel, dans cette ville où il était arrivé pauvre et inconnu. Il semble en outre avoir eu à un haut degré l’amour de sa famille et de son pays :