Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/444

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

animée d’un souffle de forte vie, et plusieurs modulations contrastent avec la faiblesse de leur entourage par une étrangeté que l’on sent naturelle.

Quant aux Bagatelles, ce sont évidemment les compositions qui devaient attirer l’âme indépendante et naïve de l’enfant. Il se reposait des sonates et des leçons en notant comme il le sentait ses petites impressions. Chacune des six Bagatelles contient déjà quelque chose de lui. La première, une mélodie gracieuse et alerte, se teinte d’une sorte de mélancolie que l’on chercherait vainement dans les compositions pareilles de Haydn ou de Mozart ; la seconde est un scherzo rudimentaire, mais construit comme le seront plus tard les grands scherzos, avec l’effet de redite incessante d’un motif très arrêté, très court, et qui ne prend son prix qu’à être répété. La quatrième, en la majeur, est toute une fantaisie : de la pédale du premier motif, Beethoven tire un chant de basse qu’il développe en quelques lignes d’une expression très ample, et lorsqu’il reprend son motif initial, c’est pour le faire passer dans toutes les parties, toujours simplifié et rendu plus précis. La basse acquiert décidément un rôle essentiel, la voici qui cesse d’être un simple accompagnement ; bientôt c’est elle qui donnera le grand chant expressif, tandis que les autres parties auront à nuancer et à varier l’émotion. Enfin Beethoven se reconnaît tout entier dans la sixième des Bagatelles[1] : ce n’est plus, à dire vrai, un morceau, mais une simple étude, la recherche des diverses expressions qui peuvent donner les développemens d’un rythme très accentué.

Les quatuors contiennent diverses idées mélodiques tout à fait originales, dont Beethoven a tiré parti dans des ouvrages postérieurs : citons, par exemple, les pages d’un élan si robuste et si résolu qui ouvrent la première des sonates de piano, op. 2, et que Beethoven avait primitivement destinées à une symphonie.

Ainsi l’enfant, sous la direction de Neefe, ne cessait de se développer dans le sens de sa nature première ; et l’on comprend que, plus tard, parvenu à la conscience de sa destinée, il ait pu écrire à son vieux professeur : « Si je deviens quelque chose dans mon art, c’est à vous que je le devrai. »


IV

Beethoven continuait à entretenir sa famille. Son père avait vainement cherché à lui faire donner un supplément de pension,

  1. C’est celle qui porte aujourd’hui le no 7. Le no 6, l’admirable Allegretto quasi Andante, fut composé en 1800 : le manuscrit des six autres Bagatelles, au contraire, est date de 1782.