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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/448

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un voisin, le violoniste Franz Ries, qui se mit tout entier à son service et ne lui épargna pas ses conseils ni son aide. Vers la même époque, Mme de Breuning, veuve d’un conseiller aulique et l’une des sommités de l’aristocratie de Bonn, pria Beethoven de donner des leçons de musique à son jeune fils, Laurent. Elle avait une fille, Éléonore, et un fils aîné, Étienne, qui avait jadis appris le violon chez Ries, en compagnie de Beethoven. Le jeune professeur fut vite apprécié de cette famille d’excellentes gens. En même temps qu’il donnait des leçons à Laurent, il dirigeait aussi l’éducation musicale de la jeune fille : et c’était lui-même qui s’instruisait, dans cette maison où tout l’invitait à se considérer comme chez lui. Il y venait tous les jours, souvent y passait des soirées entières. Il y rencontrait tout ce qu’il y avait à Bonn d’intelligent et d’instruit. Et peu à peu le voile de tristesse qui s’était abattu de bonne heure sur son âme achevait de se lever, laissant un champ libre à sa nature franche, expansive et gaie.

Il apprenait chez les Breuning les usages de la société, le charme des conversations désintéressées. Il s’habituait à l’idée qu’il y a au monde autre chose que la musique, et son esprit se jetait avidement sur ces nouvelles sources de curiosité qui se découvraient à lui.

C’est alors qu’il connut les poètes. Les Breuning étaient fort épris de la nouvelle école romantique : ils lisaient et récitaient avec enthousiasme les vers de Schiller, de Goethe, de Gellert ; l’on devine quelle saveur devait offrir au jeune musicien cette littérature toute de sentiment, qui semblait d’avance destinée à servir de thème aux mélodies. Mais ce n’est pas seulement ces poètes romantiques que Beethoven apprit à aimer. Les causeries où il prenait part chez les Breuning lui donnèrent le désir de lire l’Iliade et l’Odyssée, les drames de Shakspeare, le Paradis perdu de Milton, et tout de suite son goût se fixa à jamais sur ces œuvres immortelles. Il ne devait plus cesser, dès lors, de les lire et de les méditer : l’Odyssée, notamment, les Vies de Plutarque, les Histoires de Tacite, l’accompagnaient dans toutes ses promenades, achevant de bourrer des poches que remplissaient déjà les cahiers de notes et mille objets de rencontre.

Il faisait mieux que d’admirer les œuvres classiques : il les comprenait dans ce qu’elles avaient de fort et d’éternel. Les fréquentes observations qu’il faisait à leur sujet, si l’on en juge par celles qui nous ont été rapportées, indiquaient une justesse, une profondeur de compréhension surprenantes, il n’est pas douteux aussi que ces lectures ont exercé une influence considérable sur son œuvre musicale : c’est à elles qu’il demandait le point de départ de ses compositions ; c’est d’elles qu’il apprenait à analyser ses sentimens, à