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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/482

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pour les amis du ministère, ne serait point évidemment sans importance si elle était sérieuse ; mais c’est là précisément la question. Le langage de M. Balfour, tout en paraissant très nouveau, est resté cependant assez vague pour se prêter à toutes les interprétations, pour avoir la signification qu’on voudra. Il ressemble de plus étrangement à une tactique de circonstance, à une diversion adroitement imaginée pour déconcerter l’opposition en captant la fraction la plus politique des Irlandais et en la séparant des radicaux. Déjà on a pu voir, il y a quelque temps, M. Parnell et quelques-uns de ses amis donner la plus sensible marque de modération en votant les dotations royales. Le ministère a cru peut-être achever de détacher les parnellistes, porter le dernier coup à l’alliance des Irlandais et des radicaux en laissant apparaître à cette fin de session ce mirage d’une université catholique qui comblerait un des vœux de l’Irlande.

La tactique peut être habile. Jusqu’à quel point réussira-t-elle ? Le ministère joue certainement de toute façon un jeu assez dangereux. Si ce qu’il a dit ou laissé dire pour lui devant le parlement n’est qu’une promesse décevante, il n’abusera pas longtemps les Irlandais, qui sont eux-mêmes d’assez lins tacticiens pour recevoir ce qu’on a l’air de leur donner sans trop s’engager, sans aliéner la liberté de leur grande et malheureuse cliente, la nation irlandaise. S’il est vraiment résolu à faire de sa promesse une réalité, à désintéresser par des concessions la masse catholique de l’Irlande, il s’expose à soulever les résistances ardentes des protestans de l’Ulster, qui ont déjà réclamé, et même des conservateurs du parlement, qui sont ses amis primitifs, qui forment après tout sa véritable armée. Jouer avec tous les partis pour gagner du temps, promettre ce qu’on ne pourra tenir, laisser un espoir aux Irlandais en continuant à les traiter en peuple conquis, serait une politique qui ne ferait qu’envenimer cette triste affaire d’Irlande.

C’est la fatalité de l’Angleterre, elle n’est pas près d’être épuisée. On semble le reconnaître aujourd’hui puisqu’on cherche des palliatifs : les répressions, la « coercition, » les poursuites exercées à l’égard des chefs irlandais n’y peuvent rien. Elles ne font que mieux mettre en relief un des points faibles de la politique ou de l’administration anglaise, le régime des prisons, ce régime qui était récemment en discussion à la chambre des communes, et dont un homme des plus modérés, M. Shaw Lefevre, membre lui-même du parlement, vient de tracer un tableau poignant dans une brochure qui a pour titre : Députés irlandais et geôliers anglais. Chose curieuse ! presque toutes les nations font aujourd’hui une distinction entre les prisonniers de droit commun et les prisonniers politiques condamnés pour un discours, pour un article de journal, pour une participation à un acte politique. L’Angleterre elle-même la reconnaît à l’égard des autres nations, puisqu’elle refuse l’extradition des étrangers poursuivis pour crime politique. Il n’y