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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/535

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Sixtine. D’autres, plus jeunes, semblaient disposés à chercher, dans le même esprit, le renouvellement de l’art. De là ces heureuses et fécondes rivalités qui permirent alors de voir face à face au Salon : en 1819, le Radeau de la Méduse et l’Odalisque ; en 1822, le Dante aux enfers et le Vœu de Louis XIII ; en 1824, le Massacre de Scio et le Massacre des Juifs ; en 1827, l’Apothéose d’Homère, par Ingres, la Mort de Sardanapale, par Delacroix, la Distribution des récompenses, par Heim, la Mort d’Athalie, par Sigalon, la Naissance d’Henri IV, par Devéria, le Saint Etienne secourant une pauvre famille, par L. Cogniet, la Mort de César, par Court, sans parler des tableaux de genre de Bonington, Decamps, Poterlet, L. Boulanger, des paysages de Bonington, Paul Huet, Corot, etc. Un grand nombre de ces œuvres hostiles se sont aujourd’hui retrouvées au Louvre ; elles y vivent, sans se nuire, dans l’apaisement d’une gloire méritée.

Presque tous les combattans de ces grandes heures sont représentés au Champ de Mars, soit par des peintures, soit par quelque dessin ; il s’en faut qu’ils le soient toujours, romantiques ou classiques, au mieux de leurs intérêts. C’est ainsi que Louis Boulanger n’y peut être connu que par un délicat Portrait de Balzac, à la sépia, et Xavier Leprince, par un Portrait d’acteur, ce qui ne donne point l’idée de sa sincérité comme paysagiste. On n’y voit rien de Bonington, sans doute parce qu’il est Anglais de naissance ; mais cet Anglais, qui s’est formé au Louvre, a pris une telle part à la formation de notre école, soit par ce qu’il apportait de son pays, soit par ce qu’il savait nous montrer dans le nôtre, qu’on aurait pu, avec toutes sortes de bonnes raisons, exercer vis-à-vis de lui une hospitalité rétrospective. En revanche, nous avons de Pagnest (1790-1819), ce maître si rare, deux portraits de femme, dont l’un surtout, celui d’une Dame âgée, en capote à plumes blanches, ridée, souriante, avec des yeux pleurans, fait déplorer la mort prématurée de ce peintre sincère et l’obscurité qui plane sur sa vie. L’admiration que Géricault professait pour son camarade Charlet (1792-1845), qu’on s’est trop accoutumé à cantonner dans sa renommée de caricaturiste, nous est expliquée par ses deux tableaux, vraiment épiques dans leurs dimensions modestes, le Waterloo, marche de l’armée française après l’affaire des Quatre-Bras, et surtout l’Episode de la retraite de Russie ; Charlet y remue les masses dans le paysage tout en conservant à chaque troupier son individualité avec une aisance spirituelle et chaleureuse que Ballet seul, qui procède de lui, comme presque tous nos peintres militaires, saura complètement retrouver. Qu’on lui compare son aîné Taunay ou son cadet Bellangé, on