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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/617

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Si réfractaire que soit une nation aux idées du dehors, elle est sans force contre la logique des faits et des intérêts. Vaincue par l’Europe, la Chine demandait à l’Europe des moyens de résistance autres que ceux dont l’impuissance lui était, démontrée ; mais, en lui empruntant ses armes, elle lui empruntait aussi ses moyens de locomotion rapide, ses navires à vapeur et ses voies ferrées, et l’inconsciente évolution s’accélère d’autant. Le jour est proche où, officiellement admis et représenté dans le concert européen comme il l’est au pacifique tournoi auquel la France l’a convié, le Céleste-Empire, entraîné, lui aussi, par l’irrésistible mouvement qui emporte le monde vers un avenir meilleur, s’y associera dans la mesure de ses forces et de son génie. Cet appoint d’un quart du genre humain rallié à l’œuvre commune constituera l’une des étapes les plus importantes que le monde ait franchies ; mais l’exode de ces masses profondes, laborieuses, économes et sobres présage une évolution économique dont les redoutables conséquences se dressent, comme le Sphinx antique devant Œdipe, posant à nos hommes d’état et à nos économistes un problème de vie ou de mort.


VII

A quelques pas du pavillon de la Chine, nous abordons l’exposition japonaise. Si tout d’abord l’œil est frappé par une certaine analogie extérieure, autant dans la forme des objets que dans la nature des matériaux employés, cette impression superficielle s’évanouit à l’examen. Si le cadre demeure, si la race et le milieu se ressemblent, si les grandes lignes asiatiques persistent, autre est le portrait, bien différent est le peuple.

Peuple arrivé à l’âge d’homme et gardant les traits caractéristiques de l’éternelle jeunesse, passionnément épris de l’art, passablement dédaigneux de la science, qu’il n’a jamais acceptée pour guide, si peu réfractaire à l’influence du dehors, à la civilisation extérieure, qu’il accepte tout et de toute main, greffant sur la souche primitive les plus hétérogènes rejetons. Ils ont grandi, détournant à eux la sève. Retirez au Japonais ce que, depuis trente ans, l’Europe a superposé d’idées et de faits sur le fond primitif de la race, et vous aurez son ancêtre, le Japonais d’il y a un siècle, bien différent de celui d’aujourd’hui, s’assimilant rapidement, reproduisant fidèlement, mais être composite sur qui le Coréen, le Chinois, l’Européen, ont laissé une empreinte indélébile, être intelligent et souple, d’une exquise courtoisie et d’une gaîté d’enfant, sympathique, épris de tout ce qui est nouveau.