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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/666

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il y avait en gros caractères ces mots : « Madame de Pompadour est morte. » — « La marquise de Pompadour mourut le 19 d’avril 1764, et deux mois après, c’est-à-dire le 19 juin, M. de Sartines vint à la Bastille, m’accorda audience, et la première parole qu’il me dit fut : de ne plus parler du passé et qu’au premier jour il irait à Versailles et demanderait au ministre la justice qui m’était due. » Et nous trouvons en effet, à la date du 18 juin 1764, dans les papiers du lieutenant de police, la note suivante : « M. Duval, — c’était le premier secrétaire de la lieutenance, — proposer la liberté de Danry au premier travail, en l’exilant dans son pays. »

Rentré dans sa chambre, Danry réfléchit sur ce qui se passait : si le lieutenant de police mettait tant d’empressement à le délivrer, c’est, évidemment, qu’il avait peur de lui, que ses mémoires étaient arrivés à destination, avaient produit un effet redoutable. Le magistrat ne cherchait plus qu’à gagner ses bonnes grâces. Mais lui Danry serait bien bon de se contenter d’une simple mise en liberté, « 100,000 livres » devaient à peine suffire à lui faire oublier les injustices dont il avait été accablé.

Il roula ces pensées dans sa tête plusieurs jours. Accepter la liberté de la main de ses persécuteurs serait pardonner le passé, serait une faute qu’il ne commettrait jamais. La porte s’ouvrit, le major entra, il avait à la main un billet écrit par de Sartines. « Vous direz à la 4e Comté que je travaille à le délivrer efficacement. » L’officier sorti, Danry se mit immédiatement à sa table et écrivit au lieutenant de police une lettre pleine d’expressions grossières, de menaces et d’injures. L’original s’est perdu, nous avons une analyse faite par Danry lui-même. Il terminait en laissant à Sartines « le choix ou de n’être qu’un fou, ou de s’être laissé corrompre comme un misérable par les écus du marquis de Marigny, frère de la marquise de Pompadour. »

« Dès que Sartines eut reçu ma lettre, il m’en écrivit une que le major vint me lire, où il y avait les propres paroles que voici :

« Que j’avais tort de l’accuser de la longueur de ma prison, que, s’il en avait été le maître, il y aurait longtemps qu’il m’aurait rendu la liberté, et il finissait sa lettre en me disant qu’il y avait des petites-maisons pour y mettre les fous. A quoy je dis au major : « Nous verrons si dans quelques jours il aura le pouvoir de m’y mettre. « Il ne m’ôta pas la promenade de dessus les tours ; neuf jours après, il me mit au cachot au pain et à l’eau. » Mais Danry ne se Laissait pas démonter facilement. On ne voulait sans doute qu’éprouver son assurance. C’est en chantant qu’il descendit au cachot, où il continua pendant plusieurs jours à donner les marques de la gaité la plus vive.