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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/685

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n’est pas moins révélateur que l’étonnante conversation entre Bernadotte et Rochechouart, rapportée dans les mémoires de ce dernier.

Quelques-uns, parmi les survivans de l’épopée, se sont fait peindre sur le tard, dans le fauteuil de pair où la monarchie de juillet les avait assis ; leur transformation est saisissante ; embaumés dans la Charte, il semble qu’un esprit soit sorti d’eux, emportant l’auréole. En suivant la série chronologique des toiles, depuis celle où Marceau se dandine, avec des grâces de sans-culotte, jusqu’au portrait bourgeoisement solennel de Victor, duc de Bellune, on peut apprendre sans livres un long morceau d’histoire ; ces têtes rendent visibles les trois âges sociaux qui ont passé sur elles et les ont modelées successivement, à mesure qu’elles coiffaient le bonnet rouge, le casque timbré d’aigles et changé parfois en couronne, enfin l’autre bonnet. Pourquoi ne nous a-t-on pas apporté de Versailles, avec les tableaux militaires empruntés au château, le portrait de Lafayette peint après 1830, dans le costume et l’attitude de général en chef des gardes nationales ? Je suis allé le voir, il vaut le voyage ; c’est tout un monde, on dirait le prix de Rome de Gavarni. Cavaignac inaugure une autre époque : tête charmante sous son voile de pensée triste ; le regard ne peut s’en détacher. Il s’arrête longtemps aussi sur le visage de Hoche, beau comme un jeune génie funèbre ; le général bleu a mis sur ses cheveux un doigt de poudre, sans doute à la prière de la Vendéenne qu’il aimait ; la tradition veut qu’elle ait esquissé le modèle original de ce portrait, attribué à La Neuville. Mais il faut se défier des traditions avec Hoche ; n’est-il pas devenu le symbole des vertus civiques, ce bel ambitieux qu’une histoire aujourd’hui mieux connue nous montre impatient d’étrangler la république et de devancer Bonaparte ?

Le voici, le vrai dieu de la guerre, à l’entrée des salles, très vivant dans la statue de bronze où M. Guillaume l’a représenté, encore lieutenant à Brienne ; je ne sais de quelles limbes on a tiré cette œuvre remarquable ; elle mériterait le grand jour de la place publique, il est regrettable que la pudeur républicaine le lui interdise. Le bas du visage a déjà toute sa volonté en puissance, mais le front de l’empereur n’a pas encore « brisé le masque étroit ; » on sait que la métaphore d’Hugo est rigoureusement exacte : la série des portraits et des bustes montre ce front s’élargissant, à mesure qu’il pense pour une plus large part du monde. Devant le dieu, l’autel et les reliques ; des armes, des souvenirs de Sainte-Hélène, une mèche de cheveux. On aurait pu, pour cette occasion, ressortir la redingote grise qui émerveilla notre enfance au musée des souverains. Que craint-on ? Les imitateurs qui prennent