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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/845

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hante les yeux, gravant dans l’esprit l’inoubliable vision d’un monde exotique, d’une faune et d’une flore tropicales, d’une histoire d’hier greffée sur des civilisations dont les formes s’incarnent en des temples symboliques, en de fastueux palais, en de frais et gracieux pavillons.

Sur ce continent nouveau dont, pour nous, l’histoire semble, en effet, dater d’hier, que de ruines mystérieuses ! Qui nous dira quelles mains ont édifié, quelles races ont habité ces villes et ces palais du Yucatan dont l’aspect grandiose étonne le voyageur européen, ces gigantesques murailles de la Demeure du Nain, près d’Uxmal ; ce temple des Monjas, aux fresques étranges, aux serpens de pierre enlacés, aux bas-reliefs déroulant leur interminable procession de guerriers, de dieux et de princes richement parés ; ces palais enfouis dans la forêt dont le silencieux et séculaire effort lentement disjoint les pierres, descelle les escaliers, gravissant les hautes rampes et, sur le sommet envahi, à, travers les toitures effondrées, déploie son vert panache comme un drapeau sur une forteresse emportée ? Qui étaient ces Mount Builders dont les monticules jonchés de débris couvrent le sol de l’Ohio, que l’on retrouve au Texas, et qui, sur leurs ruines colossales, n’ont laissé d’autres vestiges de leur art, d’autres traces de leur existence que les puissantes assises de leurs cités écroulées ? Au Pérou et dans la Bolivie, au Mexique et aux États-Unis, dans l’Equateur et le Guatemala, on retrouve ces ruines entassées, pierres tombales sans noms et sans dates, sous lesquelles dorment les Antiguos, ancêtres, et peut-être victimes, des tribus indiennes dont les descendans faméliques, cantonnés dans les Réserves, achèvent de s’éteindre trop lentement encore au gré de l’Américain qui convoite leurs terres et, de leur vivant, se dispute leur misérable héritage.

Et tel est le prestige que le temps imprime à ce qui fut, que l’Européen, longtemps dédaigneux de ce passé dont les vestiges gênaient son orgueil, dont l’antiquité lui rappelait qu’il n’était lui-même qu’un parvenu sur ce sol dont il prétendait faire remonter l’histoire à son avènement, aujourd’hui en étudie pieusement les débris, demandant à la science de lui révéler ce qu’il ignore, s’efforçant de pénétrer les secrets de ceux qui l’ont précédé, de reconstituer, leur passé et leur vie.

Où que ce soit qu’aille l’homme, l’homme l’a devancé. Les couches humaines se superposent aux couches comme le sol d’alluvion aux terrains primitifs, secondaires et tertiaires. Où que ce soit que l’homme fouille, il met à découvert une tombe, des ossemens, des vestiges d’êtres disparus qui, ainsi que lui, ont vécu, aimé,