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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/891

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elle les a également imités. Mais cette sensation, ce discernement, ce goût, Malherbe au contraire les a eus ; et c’est parce qu’il les a eus que sa sévérité, son intolérance même, ont fini par triompher de la grâce nonchalante et aimable, de la facilité voluptueuse, et de la négligence enfin des « artistes de la renaissance. »

M. Pellissier ne se trompe-t-il pas un peu plus loin de quelque vingt ans en louant « la science de facture » des premiers romantiques ? ou bien alors, Hugo tout seul serait-il donc tout le romantisme à ses yeux ? La nature a fait plus que l’art pour Lamartine et pour Musset, par exemple, qui ne sont pas actuellement en honneur, je le sais, mais qui n’en sont pas moins Musset et Lamartine. L’inspiration ou la fantaisie laissent chez eux peu de place à la « science de la facture ; » ils riment parfois étrangement l’un et l’autre ; et ni l’un ni l’autre, mais Musset surtout, n’a perdu l’occasion, quand elle s’en présentait, de railler cette « science. » La Ballade à la Lune est une dérision du Pas d’armes du roi Jean, et ce n’est pas la seule gaminerie de Musset. Mais je dirais volontiers d’Hugo même que la « science de la facture » est plutôt innée chez lui qu’acquise et que consciente. Pour la « facture, » ni les Odes et Ballades ni les Orientales ne sont inférieures aux Contemplations ou à la Légende des siècles : c’est seulement une autre « facture. » Dans la mesure où l’on a pu dire que quelques pièces des Méditations sont encore du Berlin ou du Parny, les Odes et Ballades et les Orientales sont encore du très beau Jean-Baptiste Rousseau, beaucoup plus beau que le vrai. Mais entre les Orientales et la Légende des siècles, sous des influences qui ne sont pas celle d’Hugo, l’idée de l’art s’est modifiée, et les procédés avec elle ; les Poèmes antiques d’abord, puis Emaux et Camées ont paru. Comme Voltaire, au siècle précédent, le plus souple des hommes et le plus ployable en tous sens, s’emparait des idées des autres pour les leur rendre, à eux-mêmes, presque méconnaissables, et au public marquées à l’empreinte de Voltaire, ainsi Victor Hugo, de tous les assembleurs de rimes et de rythmes le plus extraordinaire que nous ayons jamais eu, se sera, lui, emparé des formes des autres, pour les traiter de main de maître, et conserver ainsi jusqu’à sa mort sa royauté poétique. Je crains donc, je le répète, que M. Pellissier n’ait ici confondu deux époques distinctes de l’évolution du Romantisme. Si la « science de la facture » est dès le début entière chez Hugo, c’est parce qu’il est Hugo, mais non point du tout parce que « romantique. » Sainte-Beuve, malheureux on ce point, n’a pu faire entendre aux premiers romantiques le prix de la perfection. Et le souci scrupuleux de la forme achevée n’est devenu la règle de l’école que plus tard, sous l’influence des Gautier et des Leconte de Lisle, c’est-à-dire quand l’école n’était plus