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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/909

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que s’est proposé M. Pellissier dans son livre ; et c’est pour achever enfin de tracer l’esquisse du Mouvement littéraire au XIXe siècle. Depuis que le Romantisme expirant a subi les premiers assauts du Réalisme, que s’est-il donc passé ? où en sommes-nous ? et la littérature contemporaine, prise dans son ensemble, si peut-être elle ne mérite pas ce que l’on a parfois dirigé d’accusations contre elle, est-elle digne des espérances que nous voyons depuis dix ou douze ans que l’on essaie de fonder sur elle ?

On peut au moins se féliciter tout d’abord que, dans tous les genres, y compris la poésie même, la littérature ait cessé d’être personnelle, et que l’œuvre d’art ne soit plus qu’accessoirement, d’une manière presque occasionnelle et involontaire, la manifestation ou l’expression de l’écrivain. Maintenant, à l’exception de quelques attardés, qui aiment dans le Romantisme le souvenir de leur jeunesse ; de quelques symbolistes aussi, dont le timbre est un peu brouillé : de quelques dilettantes enfin, dont les sensations ne sont pas d’ailleurs aussi personnelles, aussi rares, aussi distinguées qu’ils le croient, — et tous ensemble ils font bien une demi-douzaine ; — pas un écrivain ne s’imagine que le monde ait à faire de sa confession, ni surtout ne dispute que l’art, s’il a sans doute un objet plus élevé, n’ait au moins son principe, sa base en quelque sorte, et sa loi dans l’imitation de la nature et de la vérité. L’artiste doit s’effacer de son œuvre, et n’y mettre de sa personne que le moins qu’il en peut.

C’est ce qu’on ne voyait pas bien, il y a quelque vingt ans seulement. Les poètes surtout, race toujours vaniteuse, ne se résignaient pas à ne point parler d’eux-mêmes ; et, en un certain sens, ils n’avaient pas tout à fait tort, puisque, comme nous l’avons dit, sans cette exaltation du sentiment individuel ou cette espèce de religion du moi, il n’y a pas de poésie lyrique. Mais déjà cependant les Poèmes antiques, les Poèmes barbares avaient paru ; Victor Hugo lui-même, avec cette merveilleuse aptitude, que nous avons signalée comme sienne, pour s’emparer des « inventions » des autres, et les marquer au signo de son incomparable virtuosité, avait donné sa Légende des siècles ; les Parnassiens, à petit bruit, se dégageaient de l’influence du Romantisme, encore que l’on en vit en eux les derniers représentans : d’une manière générale enfin, la poésie, de lyrique, était devenue, non pas précisément « descriptive, » — ainsi qu’on le dit quelquefois, pour la rapprocher, en la nommant de ce nom, de l’Homme des Champs ou des Trois Règnes, — mais proprement épique. Pour qu’un poète désormais ose se mettre en scène, et faire publiquement, avec la sienne, la confession de ses maîtresses ou de ses amis, l’aveu même de ses doutes ou de ses désespoirs, il faut qu’il soit bien sûr de la nouveauté de ses