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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/922

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Une profonde obscurité a plané, dès l’origine, sur l’aventure d’amour dont les Lettres portugaises nous ont conservé le souvenir. Lorsque ces lettres parurent, au nombre de cinq, en 1669, on ne savait ni qui les avait écrites, ni qui les avait reçues. Et pourtant les deux personnages de ce drame intime étaient vivans encore, et leur correspondance était toute chaude de passion brûlante.

Le succès de cette publication avait été si vif que le libraire Barbin en lança, dans la même année, une seconde édition, contenant sept lettres nouvelles. « Le bruit qu’a fait la traduction des cinq Lettres portugaises a donné le désir à quelques personnes de qualité d’en traduire quelques nouvelles qui leur sont tombées entre les mains. » Ainsi s’exprimait, dans un Avis au lecteur, l’auteur de cette deuxième édition ; mais il ajoutait aussitôt : « Les premières ont eu tant de cours dans le monde que l’on devait appréhender avec justice d’exposer celles-ci au public ; mais comme elles sont d’une femme du monde qui écrit d’un style différent d’une religieuse, j’ai cru que cette différence pourrait plaire et que peut-être l’ouvrage n’est pas si désagréable qu’on ne sache gré de le donner au public. »

Si nette que fût cette dernière phrase, les lecteurs n’y prirent point garde. Charmés par les détails romanesques et les délicatesses sentimentales des nouvelles lettres qu’on leur offrait, ils ne songèrent pas à en discuter l’authenticité. L’erreur s’accrédita si bien que les éditions subséquentes insérèrent la partie apocryphe de la correspondance avant la partie originale et qu’il ne fut plus établi de distinction entre les deux.

L’effet de cette confusion fut de dépister les premières recherches et de donner à l’histoire réelle de la religieuse portugaise les apparences d’un roman.

Ce n’est qu’en 1810 qu’on découvrit sur la garde d’un exemplaire de l’édition de 1669 cette note manuscrite : « La religieuse qui a écrit ces lettres se nommait Marianna Alcaforada, religieuse à Beja, entre l’Estramadure et l’Andalousie, » et, sur la foi de cette inscription, on identifia le nom de la religieuse avec celui de la famille Alcaforado qui vivait en effet au XVIIe siècle dans la province de l’Alem-Tejo, non loin de Beja[1].

Quant à sa vie, on n’en connaissait qu’une page, celle de son amour. Un jour, elle avait aperçu, cavalcadant sous les fenêtres de son couvent, un jeune officier aux régimens français cantonnés dans Beja. Il était revenu : elle l’avait remarqué ; — il avait tenté de s’introduire auprès d’elle : elle l’avait reçu dans sa chambre. Les

  1. Historia genealogica da Casa Real, liv. VI et X.