Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/929

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lettre réduisit mon cœur en un étrange état : il eut des mouvemens si sensibles, qu’il fit, ce semble, des efforts pour se séparer de moi et pour vous aller trouver. Je fus si accablée de toutes ces émotions violentes, que je demeurai plus de trois heures abandonnée de tous mes sens… Ne m’écrivez plus de me souvenir de vous. Je ne puis vous oublier, et je n’oublie pas aussi que vous m’avez fait espérer que vous viendriez passer quelque temps avec moi… Aimez-moi toujours et faites-moi souffrir encore plus de maux. »

Mais les illusions dont l’infortunée se flattait encore se dissipent bientôt ; et se sentant, cette fois, délaissée à jamais, elle épanche son cœur oppressé dans l’admirable lettre (n° 3 des éditions, — n° 4 dans le nouvel ordre) qui commence par ces lignes : « Qu’est-ce que je deviendrai ? Et qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Je me trouve bien éloignée de tout ce que j’avais prévu. J’espérais que vous m’écririez de fort longues lettres ; que vous soutiendriez ma passion par l’espérance de vous revoir ; qu’une entière confiance en votre fidélité me donnerait quelque sorte de repos, et que je demeurerais dans un état supportable, sans d’extrêmes douleurs… »

La cinquième lettre, qui avait été et devait être, en effet, classée la dernière, nous fait assister à la crise suprême de cette âme en détresse. Une froide et banale épître, reçue de son amant, l’a pour toujours désabusée. « Je vous écris pour la dernière fois, et j’espère vous faire connaître, par la différence des termes et la manière de cette lettre, que vous m’avez enfin persuadée que vous ne m’aimiez plus et qu’ainsi je ne dois plus vous aimer… »

Lues dans cet ordre, les Lettres portugaises ne présentent plus ni incohérence ni obscurité ; elles s’éclairent au contraire l’une par l’autre ; elles concordent dans leurs moindres détails, et le drame intime qu’elles permettent de reconstituer, apparaît plus saisissant et plus pathétique.

Mais, si probante que soit cette méthode, et subsistât-il encore des doutes ou des contradictions dont elle ne pût rendre compte, je n’en tiendrais pas moins les Lettres portugaises pour vraies ; car elles portent en elles-mêmes, au plus haut degré, les caractères qui révèlent l’authenticité d’une correspondance amoureuse ; elles sont de tout point conformes au type, — je dirais presque aux règles du genre, — si ces sortes, d’écrits m’échappaient par nature à toute règle littéraire.

Il est d’abord un signe qui ne trompe guère dans l’étude des lettres d’amour ou qui pourrait même être pris comme principe de critique en cette matière, — leur monotonie. On n’y trouve, en effet, rien qui ne se rapporte exclusivement aux intéressés,