Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/950

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

choc en retour était fatale. Ainsi, tandis qu’ils désagrégeaient la France à l’intérieur, nos principes transformés conspiraient contre elle à l’extérieur. Voilà des émigrés qu’on ne s’avise point d’incriminer ; voilà les traîtres qui sont rentrés cette fois dans les fourgons de l’étranger.

Si nous nous en tenons aux apparences, il semble que cette date lugubre, 1870, marque du même coup le dernier degré de nos misères et le triomphe définitif des principes malfaisans. Depuis lors, on s’est remis de plus belle à extraire toutes leurs conséquences. Officiellement et en façade, ils règnent sur notre vie sociale. Tout récemment, dans les cérémonies organisées pour fêter leur jubilé, devant un grand concours de peuple et de hautes autorités, une Maison est venue, comme il y a cent ans, chanter des choses dans ce goût :


Homme qui par nous seras dieu…


Oh ! pourvu qu’il n’y eût là personne du pays où dans leurs fêtes, sous les armes, ils chantent le choral de Luther !

Et malgré tout, nous ne quitterons pas « l’Histoire du siècle » sur cette vue découragée. J’ai la ferme confiance que le dernier degré de nos misères aura été le commencement de notre relèvement, et que l’éruption si visible du mal caché est le premier symptôme de sa guérison. J’espère en trouver la preuve dans nos conclusions. Je demande au lecteur qui voudrait bien me suivre de se rappeler et de compléter par la pensée le dernier tableau de la procession séculaire, le groupe des maîtres de l’esprit contemporain, si heureusement opposés au groupe initial, à celui d’où est sortie la Déclaration des droits. Ils recueillent là les échos et les leçons du siècle. Nous les interrogerons sur l’état présent des idées, dans une prochaine et dernière étude, le jour où fermera l’Exposition du Centenaire. Qu’il nous suffise d’avoir rappelé aujourd’hui, tout le long du siècle, les défaillances incessantes du principe interne, du seul principe directeur de la société française ; je ne dis point de l’âme française, qui jamais peut-être ne fut meilleure, plus vaillante et plus ferme dans le malheur ; mais du principe auquel elle croit et qui s’est montré impuissant à la servir.


EUGÈNE-MELCHIOR DE VOGÜÉ.