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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/957

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lement la situation de l’Europe, c’est l’état de l’Orient, tel qu’il s’est développé depuis le traité de Berlin, qui est entre la Russie et la ligue prétendue défensive dont l’Allemagne est la tête. Comment M. de Bismarck pourrait-il satisfaire ou désintéresser la Russie, sans livrer l’Autriche, après l’avoir engagée et poussée en Orient ? Comment demeurerait-il fidèle à l’Autriche sans laisser à la Russie tous ses griefs ? S’il n’a voulu obtenir que des assurances générales de paix, il n’a dû avoir aucune peine à persuader le tsar qui s’est donné justement pour mission de maintenir la paix, en même temps qu’il est convaincu que la triple alliance seule est un danger, en excitant de perpétuelles inquiétudes en Europe, eu encourageant dans les Balkans des agitations contraires aux droits ou à la politique de la Russie. L’embarras est de concilier tout cela. Il est toujours difficile sans doute de dire ce qui peut sortir d’une conversation entre un souverain et un puissant magicien comme M. de Bismarck, quels expédiens un tel homme peut imaginer pour dénouer, ne fût-ce que temporairement, une crise qui trouble ses calculs. On ne tardera pas dans tous les cas à le savoir. Il y a cependant bien des chances pour que rien ne soit changé dans la situation générale de l’Europe, pour que la visite du tsar à Berlin n’ait été en toute vérité réelle que ce qu’elle a été dans l’apparence, une démarche toute de courtoisie et de politesse entre des souverains unis par de vieux liens de parenté.

Et maintenant que cette visite est un fait accompli et passé, probablement sans résultat, l’empereur Guillaume, libre et fixé, peut reprendre ses voyages. Il doit, dit-on, s’arrêter à Monza où il trouvera une hospitalité royale toute prête. Il va se rendre à Athènes : on ne dit plus s’il doit paraître au Pirée escorté de navires de toute sorte, s’il va en Grèce avec l’appareil impérial, ou tout simplement en frère attentionné, désireux de présider à l’union de sa sœur avec le jeune héritier de la couronne hellénique. Ce n’est probablement pas sans intention ni même par un simple goût de touriste, qu’il ira, en quittant Athènes, jusqu’à Constantinople : ce sera pour lui une occasion, non pas précisément de passer des revues qu’on aurait sans doute quelque peine à lui offrir, mais de voir le sultan, d’essayer sur lui sa jeune influence, peut-être de tenter d’attirer la Porte dans les filets de la triple alliance, tout au moins de la gagner aux combinaisons que l’Allemagne pourrait proposer pour résoudre enfin cette éternelle question des Balkans. Ce n’est point impossible ; ce n’est pas la première fois que la Porte aurait à se défendre de ces captations ou de ces pressons compromettantes, et récemment encore on croyait l’avoir décidée à prendre l’initiative d’un appel à l’Europe qui répondait évidemment aux vœux ou aux calculs de quelques cabinets. On a seulement affaire ici à des diplomates aussi fins ou aussi captieux que tous les diplomates européens, à une puissance qui sait bien qu’elle n’a rien à