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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/112

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réformes. L’irresponsabilité sans l’indépendance, l’entêtement sans le courage, l’arbitraire sans le jugement et la fatuité sans l’intelligence : voilà ce qu’elle a été ! » On applaudit la phrase. De qui est-elle ? De M. Chamberlain. C’est là un de ces bons tours qu’on se joue entre politiciens. M. Gladstone déclare avec bonhomie que l’arrêt est un peu dur, et se met en devoir de le justifier, point par point, en récapitulant ce que j’appellerai le « record » législatif de la Chambre des pairs depuis 1832. Pourquoi cette date ? Parce que l’année 1832 a assisté à une véritable révolution. Jusqu’à ce moment l’aristocratie gouverne non par la Chambre des lords, qui ne peut ni toucher au budget ni faire ou renverser un cabinet, mais par la Chambre des communes, dont les élections, grâce aux bourgs pourris, sont à sa merci. Après le bill de réforme, la Chambre des communes représente la nation, et la Chambre des pairs devient le dernier refuge de l’aristocratie vaincue. Dès lors, le conflit est en quelque sorte permanent. On croit revoir la bataille du Ciel et de l’Enfer dans le Paradis perdu. Comme le Satan de Milton, la Chambre haute semble avoir dit : « Mal, sois mon Bien ! » En effet les lords ont toujours tort, les communes ont toujours raison. Dans plus d’une circonstance, après avoir montré quelques velléités belliqueuses, la Chambre des pairs a écouté à temps l’avis d’un leader expérimenté comme le duc de Wellington ou lord Aberdeen, d’un ami prudent et éclairé comme Disraeli. Elle s’est soumise et s’en est bien trouvée. Dans d’autres cas elle s’est entêtée. Six ans de suite (1835-1841) la Chambre des communes lui a envoyé une loi qui accordait à l’Irlande les libertés municipales ; six ans de suite elle l’a rejetée, et elle ne l’a enfin acceptée qu’après l’avoir cruellement et odieusement mutilée, de façon à prévenir ses bienfaisans effets. Elle n’a pas permis qu’on touchât aux privilèges de l’Eglise protestante d’Irlande ni à la législation oppressive qui régissait, en ce pays, les rapports du propriétaire et du fermier. Qu’est-il arrivé ? Un jour est venu où l’abaissement du cens électoral a ouvert les assemblées municipales de l’Irlande aux véritables élus du peuple ; un autre jour où la Chambre des lords a dû assister, sans mot dire, à une modification radicale de cette loi sur les fermages dont elle avait défendu si âprement les moindres parcelles, où elle a dû contresigner la suppression de cette église officielle dont la plus légère prérogative lui semblait sacrée. Non seulement elle a été punie de sa résistance par la défaite finale des principes qu’elle soute nait, mais chacune de ces défaites a emporté un morceau de l’autorité qui lui restait. En 1832, pour venir à bout de son opposition au bill de réforme, ou l’a inondée de pairs libéraux, et cette