Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

polissons, mais je ne sais si le principe sur lequel elle repose a vraiment dit son dernier mot.


IV

À cette question : « Que représente la Chambre des lords ? » Charles Kingsley répondait : « Elle représente toutes les cuillères d’argent du royaume. » J’ai déjà cité ici ce mot spirituel et significatif ; j’y reviens encore. Il vaut un gros volume qui serait intitulé (à la mode ancienne) : Du principe d’hérédité, de ses origines, de son développement ; des causes qui ont amené son discrédit ; des services qu’il a rendus et qu’il peut rendre encore. Garderons-nous longtemps encore le droit de posséder des cuillères d’argent et de les transmettre à nos enfans ? La question sociale peut en effet être résolue de deux façons : ou bien nous mangerons tous dans des cuillères de bois et d’étain ; ou bien les cuillères d’argent passeront à ceux d’en bas qui, dès qu’ils seront en haut, rétabliront la propriété individuelle. Cette seconde solution est la plus probable. En attendant, chez nous, les cuillères d’argent ne sont pas représentées.

Dans l’Angleterre d’autrefois, il n’y avait qu’elles qui eussent la parole. Royauté, pairs spirituels, pairs temporels, communes, tous ces pouvoirs à des degrés divers représentaient l’hérédité. En effet, si les Knights of the shires et les burgesses étaient issus de l’élection, le corps électoral était formé de censitaires, et, si les évêques étaient nommés par le roi, ils n’étaient que les gérans d’une propriété anonyme, jamais transmise et toujours accrue. Aujourd’hui tout est changé. Les pairs spirituels ne comptent plus : de majorité qu’ils étaient, en 1525, dans la Chambre des lords, ils sont tombés à n’être plus que le trentième de l’assemblée actuelle. La propriété qu’ils détiennent, au nom de l’Eglise, est si menacée qu’on peut prédire sans trop d’impertinence qu’ils en seront les derniers administrateurs. La royauté va s’atténuant, s’amincissant comme la peau de chagrin du roman. Elle se confine dans des fonctions d’apparat et dans l’accomplissement de certains gestes périodiques qu’une poupée d’Edison pourrait exécuter à sa place. Chesterfield proposait une armée de figures de cire ; peut-être viendra-t-il quelqu’un, au XXe siècle, qui proposera d’asseoir sur le trône un mannequin articulé. Quant à la Chambre des communes, depuis 1832 elle ne représente plus la propriété foncière, mais les opinions, et chaque réforme électorale qui se succède accentue ce caractère. Il n’y a donc plus que la Chambre des lords qui représente les intérêts héréditaires, et, au cas où vous admettriez le droit de ces intérêts à vivre et à se défendre, vous