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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/161

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exposer, de les maintenir, de les justifier dans tous ses entretiens soit avec le prince soit avec ses conseillers, leur donnant un caractère séduisant, les présentant comme l’expression même de l’intérêt bien entendu. Il en revenait toujours, avec une infatigable patience, à démontrer les bienfaits éventuels de l’alliance avec la France et l’Espagne, cherchait a accoutumer le Portugal à cette pensée, à représenter cette solution comme une nécessité inéluctable. Sa conduite ferme et gracieuse fut appréciée à Lisbonne : les rapports extérieurs devinrent même assez intimes entre l’ambassade et la cour ; le prince régent prodigua à Junot les bonnes paroles : il lui offrit la croix du Christ en diamans, entoura sa femme de tous les honneurs, protesta de son amitié et de son admiration pour l’empereur, et même donna tort d’avance aux puissances qui allaient former la coalition.


X

Malheureusement, il faut bien le dire, toutes ces manifestations, tout le manège de l’ambassadeur, étaient et devaient être stériles. En politique, le langage n’a qu’un temps : la réalité des choses est toujours la plus forte, et leur logique domine tout. De part et d’autre, on jouait une comédie dont nul n’était dupe. Sans doute il eût été beau d’amener le Portugal à l’alliance française par la persuasion, mais c’était tout simplement impossible. Dans la situation donnée, ce royaume étant aussi attaché à la cause anglaise par tradition et par conviction, la seule chance qu’on eût de l’en séparer c’était la menace d’une invasion et des préparatifs de guerre. L’empereur n’imposant point sa volonté par la force, Junot avait perdu son argument décisif ; réduit à discuter avec plus ou moins d’éloquence telle ou telle infraction à la neutralité, à définir des théories politiques, à se rendre personnellement agréable par ses réceptions ou ses discours, à disserter avec M. d’Araujo sur les affaires générales, il était au fond impuissant. Et il avait d’autant moins de crédit qu’après avoir d’abord parlé en maître et traité une question capitale, il se bornait à des conseils assidus et pressans, il est vrai, mais dépourvus de sanction. Comme tous les États faibles et qui vivent d’expédiens, la cour de Lisbonne avait de la finesse, tirait de long, saisissait les nuances, devinait sous les formes mesurées du langage de l’ambassadeur les hésitations de notre diplomatie ; elle entendait profiter, sans se compromettre, de la trêve que lui assurait la marche des événemens. Son calcul se fondait sur un dilemme : ou les négociations suprêmes engagées entre les cours européennes amèneraient la paix générale, même