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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/177

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dehors. En 1790, ce fut l’élément français, l’émigration de Saint-Domingue, ruinée par l’émancipation et le soulèvement des noirs. Des milliers de colons échappés aux massacres qui ensanglantèrent l’île se réfugièrent dans la partie orientale de Cuba, aux environs de Trinidad et de Santiago. Ils amenaient avec eux leurs familles, les débris de leur fortune, leur expérience et leur activité. Ici, comme à Saint-Domingue, le sol se prêtait à la culture du café, de la canne et du coton ; ils créèrent des plantations, ils exploitèrent la canne à sucre et le café, les plus pauvres s’adonnèrent à la production du tabac. Une seule de ces industries diverses pouvait assurer la prospérité de l’île, étant données les demandes croissantes de l’Europe.

Pendant de longues années, le café tint le premier rang. Ou Ire qu’il était le genre de culture que les nouveaux colons connaissaient le mieux, il était aussi celui qui se conciliait le mieux avec le travail libre. Les esclaves coûtaient cher, et l’argent, pour s’en procurer, manquait aux Français émigrés ; puis les souvenirs de l’insurrection de Saint-Domingue étaient trop récens pour ne pas leur inspirer la crainte des nègres. Si le concours de ces derniers était indispensable pour les plantations de cannes à sucre, il n’en allait pas de même pour la production du café. Les deux cultures diffèrent, essentiellement. La première exige de grands capitaux, de grands espaces, d’importantes constructions et des machines dispendieuses ; la seconde se contente d’une superficie restreinte, proportionnée aux ressources de celui qui l’entreprend, elle se combine avec la production des fruits et des légumes, et la récolte, répartie sur une saison plus longue, ne réclame pas le labeur excessif et l’accroissement de main-d’œuvre qui sont nécessaires pendant la courte période où l’on roule la canne.

Et ce n’est pas seulement à ce point de vue que les deux cultures diffèrent. Rien de plus banal et de moins attrayant qu’une plantation de cannes à sucre. Sur de grands espaces, elle déploie sa forêt de bambous entrelacés, d’un vert pâle, puis d’un jaune terreux, brûlée par le soleil, sillonnée d’étroits sentiers, dépourvue d’arbres et d’ombrages. De longues constructions, blanchies à la chaux, abritent les machines qui, lors de la récolte, nuit et jour, pendant des semaines, écrasent la canne, convertissant en mélasse et en sucre le jus qu’elle rend. Tout est alors activité fiévreuse ; dès l’aube, les travailleurs vont aux champs, coupant, chargeant sur les longs chariots les tiges noueuses, ballant le sol pour en déloger les reptiles, brûlant les feuilles sèches pour les détruire, pendant que la machine à vapeur incessamment chauffée met en branle les rouleurs et les chaudières centrifuges. Si cette industrie est l’une des plus lucratives dans les pays intertropicaux, il en est peu