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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/344

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On se dit beaucoup alors qu’il y avait un parti à prendre et que l’urgence était grande. Le général de Pozzo, dont la haine aiguisait la perspicacité, disait très hautement qu’il arriverait quelque grand malheur si on n’y coupait pas court au plus tôt, et que le seul moyen d’assurer la tranquillité de l’Europe était de transporter au plus vite Napoléon dans un lieu où il lui serait impossible d’entretenir les dangereuses intelligences dont il faisait certainement sa principale occupation. Je crois même que, d’accord avec le duc de Wellington et avec M. de Talleyrand, il mit dès lors en avant la proposition de l’envoyer à l’île de Sainte-Hélène. Napoléon en a-t-il été informé, et cela est-il entré pour quelque chose dans sa détermination du mois de mars ? Il avait certainement connaissance des contestations qui s’étaient élevées dans le sein du congrès et comptait beaucoup sur les divisions qu’il s’attendait à voir éclater entre les souverains ; mais dans les prévisions qui devaient flatter le plus son imagination, il lui fallait attendre que ces divisions eussent fait explosion. Sa résolution a été prise avec une précipitation et une soudaineté qui portent à penser qu’il lui est survenu, pour agir ainsi, quelque motif déterminant. Il avait beaucoup de moyens de savoir ce qui se passait à Vienne, ne fut-ce que par les envoyés de Murat, si vivement attaqués par la France. Il a dû chercher de nouveau à faire cause commune avec lui. Ce qu’il y a de sûr, c’est que, quand la nouvelle du départ de l’île d’Elbe arriva à Vienne, M. de Metternich, dans son dépit et même dans son effroi, ne put s’empêcher d’adresser de vifs reproches au général de Pozzo, qu’il accusa d’avoir amené ce désastreux événement, de l’avoir même rendu presque inévitable par l’indiscrétion de ses paroles et la violence de ses propositions, dont Napoléon avait été nécessairement instruit, et qui avaient dû le pousser aux dernières extrémités. M. de Pozzo se défendit, en disant que ce qui était arrivé ne pouvait manquer de survenir, un peu plus tôt, un peu plus tard, et que mieux valait à présent, parce que le mal était moins irrémédiable.