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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/403

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contre-riposte, dans un dîner qu’en toute hâte ses amis organisent à Turin. Là-dessus, seconde lettre de M. de Rudini, celle-ci brève, sèche et cassante. Et, comme si les lettres, même écrites aux journaux, ne faisaient pas assez de bruit, M. de Rudini appuie le coup par un retentissant discours, à Palerme. On est au 20 novembre. M. de Rudini a juste le temps de revenir à Rome pour la rentrée. La veille même de la rentrée, un député romain, le plus illustre, — on dirait le seul illustre, n’était le comte Antonelli, un médecin de qui les vieux Romains disent volontiers qu’il ne lui manque que d’avoir soigné Dieu le père, — M. Baccelli clôt la campagne. Il est d’une ironie et d’une verve féroces : on sent le froid de son bistouri. M. de Rudini parlait en grand seigneur, du haut de sa longue barbe blonde, le monocle incrusté dans l’œil gauche, la lèvre à peine plissée d’un demi-sourire et de temps en temps regardant négligemment la pointe de ses escarpins découverts. M. Baccelli, grisé par les applaudissement, se croit à l’amphithéâtre, voit déjà le cadavre et enfonce le scalpel. Est-ce que le ministère est mort ? Pas encore, mais pour les docteurs Tant-Pis, c’est tout comme. Pour d’autres, l’espoir est loin d’être perdu. On s’est livré à de minutieux pointages ; on a lancé de pressans rappels aux partisans sujets à de fâcheux retards, et, la part faite aux abandons possibles, on compte sur une vingtaine de voix de majorité ; car enfin, M. Giolitti l’a proclamé à Dronero ; le ministère a dans la Chambre une majorité que n’a pu entamer « ni la force ni la ruse. » Sa loyale et solide majorité, il la retrouvera le lendemain.

Le lendemain est jour de séance décisive. La commission des Sept y doit déposer son rapport sur l’affaire des Banques. Le président, M. Zanardelli, n’a pas achevé l’éloge funèbre du ministre Genala, que la salle devient houleuse. M. Imbriani, élu après plusieurs échecs, est debout et prête serment. Il ajoute aussitôt : « Je demande la parole. » Le président la lui refuse, et agite sa sonnette. Mais M. Imbriani, de sa voix tonnante, qui couvre le tumulte : « En reprenant ici mon ancienne place, j’éprouve le besoin de déclarer que je m’associe à toute demande tendant à mettre ce ministère, — qui veut la ruine morale et matérielle, politique et économique de notre pays, — en état d’accusation. » L’extrême gauche, la Montagne, trépigne. Le président sonne à tour de bras. Les tribunes publiques grondent et s’emplissent de rumeurs. Enfin, voici l’enveloppe blanche qui contient le rapport des Sept. Qu’en va-t-on faire, de ce rapport ? Le déposer au secrétariat de la Chambre, où tous les députés en pourront prendre connaissance ? Le lire immédiatement ? Le