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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/408

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donnaient de ce fait, peut-être très simple, des explications entortillées. Ils voulaient qu’il y eût du mystère là-dessous. Le général ne s’en allait pas de lui-même : on cédait, on le faisait céder aux représentations de l’Autriche, choquée de l’attribution des affaires étrangères à un Triestin qui avait préféré l’armée italienne à l’armée autrichienne. L’ambassadeur d’Autriche à Rome, le baron de Brück, démentait hautement ces racontars, mais sans convaincre les sceptiques et, moins on en savait, plus on en disait. On ne laissait même pas en dehors et au-dessus des bavardages la personne respectée du roi. On ergotait sur ce que lui permettait ou ne lui permettait pas son droit constitutionnel. Avait-il ou n’avait-il pas le droit de juger la liste qu’on lui présentait ? M. Bonghi a démontré théoriquement et pratiquement qu’il en avait le droit absolu, que c’est le droit absolu du prince dans les États constitutionnels[1]. M. Zanardelli ne le contestait pas, à la vérité, mais il plaçait le roi en face d’un dilemme : ou signer, même à contre-cœur, les décrets de nomination ou lui reprendre à lui, M. Zanardelli, le mandat dont il avait été officiellement investi et qu’il ne rendait pas de son bon gré. La démission anticipée du général Baratieri est venue, heureusement, défaire la liste et trancher la difficulté. Sans elle, ou le roi ne pouvait user de son droit, ou il était découvert, et M. Zanardelli. président de la Chambre, ruinait une de ces fictions sur lesquelles est fondé le régime parlementaire et qui sont de son essence même.

Tout s’est arrangé pour le mieux ; la pyramide à base trop étroite qu’avait laborieusement construite M. Zanardelli, et à laquelle il manquait déjà une pierre d’angle, s’est écroulée, dès qu’une autre pierre d’angle a été arrachée. Il a fini par où il eut dû commencer ; il a résigné le mandat qu’il n’avait pu suffisamment remplir. Et il a repris le chemin de ses lacs lombards, le chemin d’Iseo et de Brescia, non sans commettre une dernière faute : celle de publier la lettre qu’il avait adressée au roi. Quand la paix sera redescendue sur lui, la paix qui habite les solitudes, il n’aura pas de peine à se persuader que si son ministère n’a pas vécu, s’il est mort avant que de naître, c’est, bonnement et naïvement, que ce ministère mort-né n’était pas viable. Juriste de grande science et orateur de grand talent, en dépit de tous ses mérites, de son intelligence et de son caractère, qui en font une des figures les plus honorées de l’Italie, M. Zanardelli n’a pas su être, lorsque le reste ne servait de rien, un chercheur et un inventeur d’hommes. — Il n’a pas su le premier mot de l’art d’échouer

  1. Article de la Nuova Antologia du 12 dcc. 1893. Il diritto del Principe in uno Stato libero.