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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/464

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aurait peut-être enfin éclairés sur son véritable caractère, et sur l’histoire de ses relations avec Byron et Shelley : mais nous aurons encore à l’attendre vingt ans ; et en attendant, nous devons avouer que, malgré les deux longs articles de M. Graham, Jane Clermont continue à demeurer pour nous un personnage assez mystérieux. Il semblerait même que ses confidences à M. Graham ne servent qu’à nous mettre davantage en méfiance contre elle, tant elles sont pleines à la fois d’expansion et de réserves et tant, sous son apparente bonhomie, la vieille dame s’y montre disposée surtout à se moquer de son interlocuteur.

N’importe, telles qu’elles sont, ces confidences de Jane Clermont constituent pour la biographie de Byron et de Shelley un document très précieux. Lorsqu’elle parle d’eux sans se préoccuper d’elle-même, Jane Clermont paraît assez impartiale pour que nous puissions la croire ; et personne, en tout cas, n’a eu plus d’occasions de les bien connaître.


M. Graham avait vingt ans, et tout son jeune cœur n’était plein que de Shelley et de Byron lorsqu’il se rendit de Paris à Florence, sans autre but que de voir et d’interroger l’amie octogénaire de ses deux maîtres bien-aimés. Il la trouva agréablement installée dans un faubourg de la ville, avec des prêtres dans toutes les antichambres, et sur tous les murs des images de piété. On voyait qu’elle avait dû être fort belle : elle gardait encore des yeux vifs et brillans, une taille fine, et le teint frais d’une jeune femme. Mais elle avait surtout un singulier sourire, malicieux et naïf, un sourire d’enfant coquette, et c’est ce sourire qui perce sous chacun des mots que M. Graham nous a rapportés d’elle.

« — Ah ! dit-elle d’abord, je vous plains, mon jeune ami, qui sans doute êtes venu ici l’esprit tout rempli des visions de Shelley et de Mary et de leur pauvre Jane, qui était (je puis bien le dire désormais sans vanité) une très belle femme dans son temps ! Et voici que vous trouvez une malheureuse créature fanée et flétrie, sur le seuil du grand mystère ! »

Puis elle parla de sa foi catholique, et ce fut pour M. Graham une nouvelle surprise. « Voyez-vous, lui dit-elle, il vient un âge où l’on est heureux d’être enfin dispensé de raisonner et de réfléchir, et de pouvoir s’endormir dans une religion. Et le catholicisme est une religion si commode : et l’amitié de ces chers padre est pour moi si consolante ! »

Et comme M. Graham lui demandait ce qu’aurait pensé Shelley s’il l’avait vue ainsi revenir à cette foi chrétienne, qu’il avait haïe plus que tout :

« — Oh ! il m’aurait tout pardonné, répondit la dame. D’ailleurs c’est le souvenir de Shelley qui m’a conduite au Christ. Tout de même,