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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/475

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sentent frôlées, aura peut-être quelque influence sur la distribution de l’or, qui passe de main en main en calmant les appétits des hommes.

Ce qui serait aussi impardonnable que de ne pas voir la grandeur du péril, ce serait de se laisser aller à la colère et, sous prétexte qu’il y a des brigands parmi les socialistes, de refuser les réformes quand elles sont justes et de ne plus voir la misère quand elle est réelle. Il est navrant de penser que, dans une ville comme Paris, où il n’y a pas une bête de somme qui n’ait son écurie ou sa ration de fourrage, il y ait des hommes qui meurent de faim et même de froid, ainsi qu’on en a signalé plusieurs exemples durant les jours rigoureux de cette quinzaine. Cependant lorsqu’on jette un coup d’œil sur le budget de la misère, on se demande si c’est bien l’argent qui fait défaut ou si, plutôt, ce n’est pas l’organisation de la charité, publique et privée, qui est défectueuse.

Les dernières discussions du conseil municipal semblent de nature à nous convaincre que les indigens seraient presque à leur aise, si les sommes qui leur sont destinées étaient plus intelligemment réparties. L’Assistance publique, à elle seule, dispose à Paris, en 1894, d’un chiffre de près de 50 millions de francs, provenant tant de ses revenus propres, du droit des pauvres dans les théâtres et des fondations définitives qu’elle a mission de gérer, que des subventions ordinaires et extraordinaires de la ville. On calcule qu’à côté de ces 50 millions une somme au moins égale est obtenue par les 1200 œuvres, religieuses ou laïques, qui fonctionnent dans la capitale, par les allocations de l’État, par les quêtes dans les églises et par les charités individuelles.

Ce serait donc un budget total de 100 millions de francs que se partageraient annuellement les pauvres de Paris, et puisque ces pauvres, ceux du moins que l’administration connaît et assiste, atteignent un effectif de 110 000 têtes environ, ce serait une subvention de 900 à 1 000 francs que chacun d’eux pourrait recevoir. À ce compte les pauvres seraient autant ou plus riches que les trois quarts de la population parisienne, qui ne disposent pas de 900 à 1 000 francs par tête et par an. Comment se fait-il que la misère soit aussi grande encore ? N’y a-t-il pas beaucoup d’inégalités, et peut-être d’iniquités, dans la répartition de ces aumônes, officielles et privées ?

Bien des organisations ne sont-elles pas vicieuses ? Entre ce qui est donné par l’État, par la ville et par les particuliers, et ce qui est reçu par les pauvres, n’y a-t-il pas un formidable écart ? N’a-t-on pas à déplorer, dans la gestion des finances de la charité, ce que l’on déplore dans les États dont les finances sont mal administrées, ce que l’on déplorait jadis dans les finances françaises, lorsqu’on disait qu’un sou qui entrait dans les coffres du roi en coûtait trois ou quatre au peuple ! Pourtant la comptabilité et les écritures étaient d’aussi belle apparence, en ce temps-là qu’elles peuvent être aujourd’hui.