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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/489

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terrain diplomatique, la fortune avait exaucé tous ses vœux, couronné tous ses efforts. Sous l’influence de ces merveilleux résultats, l’ambition du roi Guillaume, entretenue, surexcitée par les soins de M. de Bismarck, prit un nouvel essor. Il ne leur suffisait plus d’avoir reculé les frontières du royaume, d’avoir réuni, par l’annexion du Hanovre et de la Hesse électorale, les deux grandes fractions du territoire national, si longtemps séparées, de tenir, dans leur main, par l’autorité de la force plus encore que par celle des traités, l’Allemagne entière ; à cet état de fait mal défini ils résolurent d’ajouter la consécration du droit, de reconstituer, en somme, l’empire germanique au profit de la maison de Hohenzollern. Depuis que M. de Bismarck ne se croit plus tenu à aucune discrétion, depuis qu’il lui est loisible de raconter les belles journées de sa vie, il a, dans plus d’un entretien, avoué que telle avait été sa pensée dès le lendemain de Sadowa, qu’il a été le premier et le dernier ouvrier qui a forgé la couronne impériale ; il en revendique même trop souvent l’honneur et le bénéfice. Et il dit vrai. Il n’avait pas encore échangé les ratifications du traité de Prague que déjà, en effet, il prenait ses dispositions pour n’en tenir aucun compte. Ce traité stipulait, pour les États du Sud, une sorte d’indépendance leur garantissant une entière autonomie ; l’autorité de la Prusse s’arrêtait au Mein. Il renversa cette barrière en imposant à ces États des clauses nouvelles qui, dérogeant aux arrangemens conclus avec l’Autriche, les subordonnait à la Prusse dans une prétendue alliance à la fois défensive et offensive.

Mais si, dès ce moment, la Prusse pouvait disposer de toutes les forces de l’Allemagne en s’abritant sous l’autorité d’accords conventionnels, ces accords eux-mêmes blessaient le droit public européen ; ils ne pouvaient dès lors servir de base au couronnement de la domination prussienne. Si l’Allemagne était vaincue, prosternée aux pieds du roi Guillaume, l’Europe n’avait abdiqué aucun de ses avantages internationaux. Des traités généraux, ceux de Vienne notamment, lui conféraient le droit de n’admettre d’autres altérations à l’état de choses créé en 1815 que celles qu’elle aurait ratifiées. C’est ainsi que la Belgique put se séparer de la Hollande, et la Prusse elle-même n’a que trop vivement invoqué ces stipulations toutes les fois que la France a témoigné l’intention de s’y dérober. Il est vrai qu’à cette époque M. de Bismarck n’avait pas encore paru sur la scène du monde, et qu’il n’avait pu, par ses violences, troubler le respect du droit public dont les règles salutaires formaient jadis la base des relations internationales et la meilleure garantie du maintien de la paix.

Mais au point où nous sommes arrivés de ce rapide exposé, le roi Guillaume et M. de Bismarck n’en étaient plus à s’enquérir