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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/559

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pour faire aboutir le paratonnerre, on a trouve’1 son cercueil. Les décharges de la foudre, maîtrisées par le génie moderne, viennent frapper ainsi le tombeau de ce génie du moyen âge.


Grande et complète église : le fabliau local de Strasbourg dans la chaire de Narrenschiff et le groupe des vierges folles. La tragédie politique, ecclésiastique, l’Eglise armée, meurtrière, dans les statues des princes-évêques, et le dialogue en pierre de l’Ancienne et de la Nouvelle loi. Et, par-dessus tout, l’infini gothique des nefs, la gravité du chœur, unissant, dans une même église, l’esprit byzantin, allemand, le génie des deux empires.

Qu’un coup de soleil s’ajoute, au même instant les vitraux s’allument, et toutes les petites figures du midi vibrent et se réveillent, leurs petites voix s’harmonisent, par les grandes voix des grandes figures des vitraux du nord. Alors toute l’église chante ; les anges des piliers sonnent de la trompe ; l’unanime unisson se réalisant, toute parole de Dieu est réalité ; la voix se gorille, crève la voûte, s’enfle majestueuse et puissante, va toujours s’harmonisant vers le ciel. Musique architecturale, régulière et prismatique ; œuvre de Dieu passant par l’homme, Dieu à la seconde puissance, création de création.

De la cathédrale, je vais à la bibliothèque, autre église. Les livres, le musée, sont mêlés de France et d’Allemagne. Il y a vraiment, ici, mariage entre les deux nations. Rien de plus touchant. Je m’enferme là des heures, lisant, interrogeant le passé. Sous mes yeux, une relique, la vieille petite bannière de la ville, et le tableau daté de 1388, qui servait de modèle aux bannières des corporations strasbourgeoises. Vierge byzantine, mais douce figure allemande, point belle, un peu souffrante, les bras étendus, frémissans…

Le conservateur, dont la personne et la parole traduisent à merveille un côté du génie local, M. Jung, me conduit au Temple neuf où l’on voit la Danse des morts. Cette danse faisait partie des fresques plus ou moins hardies dont les moines paraient leurs églises. Ces danses ne sont pas volontaires. La mort appareille de force les danseurs, tous jeunes, de vie exubérante. Types allemands, aimables et forts. En contraste, la pâle figure ; elle est derrière, et regarde ceux qu’elle va marquer, entre autres une belle jeune fille qui s’arrête les yeux rêveurs. Il y a aussi un beau jouvenceau ; celui-ci se sent visé et se retient à une colonne. Le dernier tableau est atroce. La mort, ici, les veut tous. Elle n’attend pas, frappant du regard, elle agit. Epaules courbées, contractées ; d’autre part, elle attire, accroche et griffe, devant et derrière, un