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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/589

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patriciens et patriciennes de Francfort, instructifs. Fins, secs visages mercantiles, intelligens et négatifs. Sur ces limites de deux mondes, la fécondité n’est pas doublée comme on pourrait le croire. Les nations se comprennent peu par le bord. Gœthe, même, n’a pas compris la France.

Collection Bethmann, il y a une bien jolie chose, l’Ariane de Dannecker, très coquettement éclairée, la tête trop petite, peu agréable, l’ensemble peu sévèrement étudié, mais comme il l’a bien lancée sur son tigre, la jambe lestement repliée sous elle, ce qui fait que de ce côté elle ne pose pas. Les reins, cette partie de la femme un peu lourde, en se détachant ainsi, devient gracieuse, ce qui ajoute singulièrement à l’élégance. La tête, vive et fière, semble dire : « Thésée s’est rendu justice, j’étais faite pour les dieux. » Tout le mouvement de la statue exprime bien l’élan de la femme qui passe d’un amour terrestre à un amour supérieur. Le premier n’a été qu’un degré pour monter plus haut.

Je ne manque guère, lorsque je passe dans une ville, d’aller voir le cimetière. Les morts m’instruisent sur les vivans. Que le cimetière de Francfort soit à une demi-lieue, cela déjà me déplaît. Au moment où j’arrive, il entre un cercueil tout nu, tout seul, ni parens ni amis ne l’accompagnent… Pourquoi ? « C’est, me répond le gardien, qu’il y a ici une chambre pour les morts des familles qui ne peuvent les garder jusqu’à l’heure de l’enterrement. Elles nous les envoient dès le décès et viennent le lendemain pour l’inhumation. — alors qui les veille ? — Mais des gens payés pour cela. » Ce qui veut dire que, tout chauds encore, ils sont laissés à l’abandon. Affreux égoïsme !

Heureusement pour ces pauvres morts, le lieu est beau, en vue du roi des montagnes, du Taunus, admirablement sombre et majestueux, dans l’orage imminent que le ciel suspend sur sa tête.

A part le temps que je donne à mes recherches, que ferais-je de mieux dans cette ville toute renouvelée, cette auberge des nations où tout m’est étranger, sinon de regarder en moi, de me résumer au terme de ce rapide voyage ?

En un mois, j’ai coupé un coin dans l’Allemagne ; j’ai touché toutes les électricités du Sud-Ouest : Rhin, Souabe, Bavière, Franconie. Mais combien plus, au contact, j’ai développé la mienne, et voyagé en moi.

D’abord, sur la route poudreuse, je me suis nourri de