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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/615

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n’embrasse donc pas dans un cadre unique tous les gens qui vivent de la profession à laquelle son nom est emprunté. On voit même souvent, confondus sous une seule dénomination de métier, des gens qui relèvent très consciemment de castes et de tribus distinctes.

Inversement, les membres d’une même caste peuvent s’adonner à des occupations très diverses. Ce sont d’abord les castes basses et méprisées, réputées d’origine anâryenne. Vouées à toutes les taches serviles, elles se livrent, suivant les circonstances, un peu à tous les genres d’occupations intérieures. Les Bâris, dans les Provinces du nord-ouest, fabriquent des torches et font la barbe ; les Banjâras comprennent des marchands, des bardes, des pasteurs, des agriculteurs. Ailleurs des batteurs de coton, des presseurs d’huile et des bouchers se coudoient dans une caste unique. Les exemples seraient infinis. Ils ne sont pas confinés aux castes les plus humbles. M. Nesfield explique lui-même que, parmi les marchands, la distinction professionnelle est pratiquement nulle, que toutes leurs castes peuvent se livrer au négoce, sans qu’il y ait privilège pour aucun commerce. Il constate que nombre de gens changent d’occupations sans se séparer de leur caste. C’est l’évidence.

Il est non moins certain que le nombre énorme de castes vouées à la culture ne correspond pas à autant de distinctions professionnelles, ni actuelles ni anciennes. Les castes de cette catégorie ont sans cosse tendu à gagner du terrain. Au fur et à mesure que des tribus anâryennes se sont rapprochées de la civilisation hindoue, elles sont surtout devenues agricoles ; au fur et à mesure que la paix maintenue par la domination britannique a découragé le métier des armes, c’est l’agriculture qui a gagné des bras.

Ce n’est là qu’un des élémens qui, du point de vue des attributions, concourent à troubler la stabilité. Elevons-nous d’abord au plus haut degré de l’échelle. C’est peut-être parmi les brahmanes que le mélange des emplois, la confusion des métiers est plus enchevêtrée. Si nous en étions à l’idée vieillie d’une caste de brahmanes uniquement appliquée à l’étude sacrée, aux pratiques religieuses, à une vie de méditation ou d’austérité, il y aurait de quoi nous déconcerter. Ceux qui ont vu des brahmanes, ceints du cordon sacré, offrir de l’eau aux voyageurs dans les gares de l’Inde, qui les ont vus faire l’exercice parmi les cipayes de l’armée anglo-indienne, sont préparés à cet ordre de surprises. En fait, on trouve occupés à presque toutes les tâches des gens qui portent fièrement le titre de brahmanes, et auxquels ce titre assure partout de grandes