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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/621

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quelque signe de reconnaissance, un lambeau bleu pour un musulman, rouge pour un Hindou, un morceau de cuir pour un Chamâr, une corde pour un balayeur, etc. On voit que le souci pénètre avant ; il se maintient même entre des castes qui pourraient y échapper par leur commune abjection.

Pareillement, les précautions prises contre une nourriture qu’auraient souillée d’impurs contacts se complètent par des restrictions qui portent sur les alimens eux-mêmes. Tout le monde sait de quelle vénération les Hindous entourent la vache, quelle horreur ils ressentent à en voir manger la chair. Le respect de toute vie animale est un trait qui traverse le passé entier de l’Inde ; le bouddhisme et le jaïnisme l’ont poussé aux dernières limites. Sans être aussi catégorique, le brahmanisme en est aussi très pénétré. Chez les bouddhistes comme chez les Hindous, les liqueurs spiritueuses sont de même sévèrement réprouvées ; l’usage en est considéré comme une faute des plus graves. Il est visible aussi, il ressort et de coutumes persistantes et de textes autorisés, que certains alimens sont, quoique la raison en échappe, l’objet d’une particulière réprobation : les oignons, l’ail, les champignons. Et pourtant le confit est si fréquent entre les usages locaux, la mêlée si obscure entre les passages d’un même livre, les pratiques an ciennes ont reçu et reçoivent chaque jour, sous l’action des exemples étrangers, de si sensibles atteintes, qu’un rapporteur prudent hésite devant toute affirmation générale. Qui oserait dire que, aujourd’hui, les brahmanes, fussent-ils de haute caste, s’abstiennent de viande, même avec l’exception qu’autorise l’usage en faveur des viandes provenant des sacrifices ou servies aux repas funèbres ? On nous assure que, maintenant encore, l’usage des boissons fermentées marque une ligne de démarcation entre les hautes et les basses castes. Comment savoir exactement où se fait le partage dans chaque région ? La vérité est que chaque caste, c’est-à-dire chaque groupe endogame, observe à cet égard des règles qui, sans être absolument immuables, font partie de l’héritage commun et qui, tant qu’elles demeurent généralement en vigueur, sont strictement observées. Elles sont parfois très particulières, comme dans cette caste très infime des Halalkhors, à Poona, qui, malgré un genre de vie fort peu délicat, refuse la chair du lièvre ; elle en donne pour motif que son patron, Lal Beg, aurait été allaité par une hase.

Que certains brahmanes mangent de la viande tandis que d’autres s’en abstiennent, que certaines classes admettent sur leur table ou en repoussent le porc ou le poulet, ce détail, à vrai dire, nous intéresse ici assez peu. Ce qu’il nous importe de