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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/689

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les républicains allaient leur céder la place. Il n’y avait donc pas un jour à perdre, car, s’il était douteux que le nouveau président se montrât sympathique au mouvement insurrectionnel et que le nouveau Congrès ratifiât l’annexion, il n’était pas douteux que M. Harrison n’en fût partisan et que le Congres d’alors n’y fût favorable. Le mouvement insurrectionnel était l’œuvre de G.-L. Stevens, son ministre résident à Honolulu ; c’était lui qui, en donnant l’ordre au capitaine du Boston de mettre à la disposition du gouvernement provisoire ses compagnies de débarquement, avait décidé de l’abdication de la reine ; c’était lui qui, le premier, avait, au nom des États-Unis, ratifié les faits accomplis en reconnaissant le nouvel ordre de choses et insisté sur l’envoi immédiat d’une délégation à Washington. Ses dépêches d’ailleurs ne laissaient aucun doute sur la part active qu’il avait prise à ce qui s’était passé ; elles n’étaient qu’un plaidoyer pressant en faveur d’une annexion précipitée, un résumé des argumens que les négociateurs avaient mission de faire prévaloir.

Tout paraissait louche dans cette affaire, et l’empressement que l’on mettait à la terminer n’était pas pour désarmer les soupçons. À l’improviste, sans discussion préalable, on venait demander au Sénat de ratifier un traité qui n’était rien moins que le désaveu implicite de la politique extérieure des États-Unis, de la doctrine Monroë, qui, limitant au continent toute extension territoriale, déclarait que l’Amérique du Nord devait, un jour ou l’autre, appartenir à l’Union et répudiait toute tentative d’annexion en dehors de ces limites. Sourds à toutes les propositions, inaccessibles à toutes les tentations, les partis et les présidens qui s’étaient jusqu’ici succédé au pouvoir avaient, sur ce point tout au moins, invariablement suivi la même ligne de conduite, refusant Cuba, qui s’offrait, le Nicaragua, que Walker les pressait d’accepter, Saint-Domingue, prêt à se vendre. L’expérience avait justifié les sages préceptes des fondateurs de la république, dont les frontières s’étendaient déjà d’un océan à l’autre et dont la superficie comme la population avaient plus que décuplé eu un siècle.

Y renoncer ? Et pourquoi ? Pour s’annexer un groupe d’îles que sept cents lieues de mer séparaient de la côte américaine la plus proche, dont la population n’était ni de même race ni de même couleur, dont les traditions étaient monarchiques et qui répugnait à cette annexion. Et cela, pour enrichir plus encore deux mille Américains, alors que, par la force des choses, par l’immigration, par les capitaux et le commerce, ce groupe d’îles gravitait dans l’orbite des États-Unis, dont l’influence y était prépondérante, librement acceptée et reconnue. On avait les profils de l’annexion sans en avoir les charges, les avantages sans les