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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/787

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y avait ménagé, à l’étage inférieur, des logemens pour 300 éléphans, qu’au-dessus étaient bâties des écuries pour 4 000 chevaux avec des magasins remplis de fourrage et d’orge et de quoi recevoir 24 000 hommes, fantassins et cavaliers[1]. C’étaient des défenses formidables, et les généraux romains, qui avaient essayé de les enlever par surprise, n’y avaient pas réussi. Scipion se tourna d’un autre côté. Le faubourg de Mégara était moins défendu que le reste, et un assaut heureux lui permit d’y pénétrer. Mais il s’aperçut vite que ce succès chèrement acheté ne le menait à rien. Mégara était rempli de jardins séparés les uns des autres par des murs en pierre sèche ou des baies vives d’arbustes épineux et coupés par des canaux profonds. Scipion n’osa pas engager davantage son armée dans ce terrain difficile, et il se hâta d’en sortir. Il lui fallut donc renoncer à brusquer l’attaque et se résigner aux lenteurs d’un siège régulier.

Il comprit très bien que, du moment qu’on voulait procéder avec ordre, il fallait d’abord isoler la ville, la priver des secours qu’elle recevait des pays voisins et empêcher qu’elle pût être ravitaillée. En face de la triple enceinte dont je viens de parler, il fit construire un de ces ouvrages de fortification où les Romains étaient maîtres. C’étaient deux fossés parallèles de près de cinq kilomètres de long, fermés aux deux extrémités par deux autres fossés transversaux, de manière à constituer une sorte de place d’armes qu’il garnit de troupes. Du côté qui regarde Carthage il flanqua le fossé de murs et de tours, pour empêcher les habitans de sortir ; il se contenta de hérisser l’autre côté de palissades, qui devaient suffire à fermer le passage aux gens du dehors s’ils tentaient d’approcher. Ce travail énorme, à une portée de trait de l’ennemi, qui dut plus d’une fois le gêner par ses attaques, fut achevé en vingt jours. Carthage était donc définitivement coupée de la terre ; mais il lui restait la mer. Il fallait rendre ses ports inutiles, et, comme on va le voir, ce n’était pas un petit travail.

Appien nous a laissé une description détaillée et fort curieuse des ports de Carthage. Ils étaient creusés de main d’homme dans le grès argileux, comme ceux de Thapsus, d’Utique, d’Hadrumète[2]. Il y en avait deux, un port marchand et un port militaire. Ils n’avaient qu’une entrée, qu’on fermait avec des chaînes de fer, et l’on passait de l’un dans l’autre. le port marchand, qu’on rencontrait d’abord, était garni de nombreuses amarres pour attacher

  1. Daux a retrouvé la même disposition dans ce qui reste des remparts d’autres villes puniques. On peut voir le résultat de ses recherches dans l’ouvrage de Tissot sur la géographie de la province d’Afrique. J’ai suivi fidèlement Tissot dans tout ce récit de la prise de Carthage.
  2. On nous dit que les ports creusés ainsi de main d’homme avaient reçu le nom de Cothons.