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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/828

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d’aimer l’universel, est précisément un de ses traits les plus caractéristiques. Un Laplace cesse-t-il d’être La place parce qu’il se représente dans leur ensemble les mouvemens du monde entier ?

En outre, on oublie trop que l’intelligence n’est pas seulement une faculté tout extérieure : ce qui en fait le fond, c’est la conscience, et la conscience est tournée vers le dedans, non plus vers le dehors. Prendre conscience de sa constitution et de son tempérament, c’est déjà les transformer en « caractère », puisque cette conscience est une réduction à l’unité du moi de toutes les tendances et impulsions éparses dans l’organisme. Concevoir son moi, c’est déjà le poser et l’affirmer en face du dehors, c’est, du même coup, su « caractériser » soi-même. Enfin, on raisonne toujours dans la vieille hypothèse de la conscience-éclairage, des idées-reflets, et on s’imagine que la réflexion sur soi n’est qu’une lumière surajoutée, sans efficace et sans conséquence pratique. — Auparavant, dit-on, l’organisme ne se voyait pas fonctionner ; maintenant il se voit, et c’est tout. — Théorie inexacte, fondée sur une comparaison contestable. Pour l’être qui dit moi, la conscience devient aussitôt un facteur de sa propre évolution : dire moi, ce n’est pas simplement « constater », c’est commencer à réagir, c’est se faire centre d’attraction, c’est imprimer une unité de direction à ce qui était d’abord épars et sans lien intime ; c’est poser sa personnalité et, dans une inévitable antithèse, poser la personnalité des autres ; c’est, mystère inexplicable, par un seul et même acte, entrer en soi et sortir de soi. puisque la pensée ne peut se connaître sans connaître autre chose, ni connaître autre chose sans se connaître elle-même. Si donc vous faites abstraction de la pensée et de la conscience quand il s’agit de l’homme, vous mettez de côté la marque propre de l’homme et du caractère humain.

Selon M. Ribot, du nombre des vrais caractères il faut exclure les naturels sans forme fixe, les hommes « amorphes » et « instables » : leur « plasticité » indique l’absence même de caractère. — Il y a, répondrons-nous, au-dessus des naturels passifs qui prennent indifféremment toutes formes, des naturels actifs dont la perfectibilité n’indique nullement une « absence de caractère ». C’est que, chez eux, la plasticité vient surtout de l’intelligence, qui est faite pour se perfectionner sans cesse. On n’est point amorphe et sans forme propre parce qu’on a le pouvoir de se donner à soi-même des formes toujours supérieures. On n’est point « instable » parce qu’on a assez d’énergie et de vitalité intellectuelle pour s’élever sans cesse à de nouveaux horizons : celui qui gravit les plus hautes montagnes ne prouve pas par là qu’il n’ait ni bon pied ni bon œil. S’il est vrai qu’il existe des intelligences passives