Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/830

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ainsi dire de nous-mêmes ; mais il y a aussi une direction de l’intelligence (et c’est la vraie) qui fortifie, qui même produit le caractère : c’est la réflexion de la conscience, c’est l’intelligence intérieure, première condition de toute moralité.

Pour pénétrer plus avant dans cette importante question des élémens primordiaux du caractère, il faut examiner s’il est vrai que l’intelligence ne soit qu’une faculté adventice et surajoutée. A la physiologie et à la psychologie de répondre. Or, au point de vue de ces deux sciences, la théorie de Schopenhauer et de M. Ribot nous semble inexacte. Pour la physiologie, les « fonctions de relation » sont caractéristiques et même dominatrices : on ne peut donc exclure des facteurs primitifs du caractère ; la fonction intellectuelle, qui nous met en relation avec le monde extérieur et même intérieur. Quand il s’agit de l’homme surtout, la physiologie ne saurait faire abstraction de ce qui constitue avant tout l’homme même, à savoir la supériorité du cerveau ; or, si le tempérament est surtout lié à la structure et au fonctionnement général du système nerveux, le caractère proprement dit est lié surtout à la structure et au fonctionnement du cerveau, organe de l’intelligence.

Passons ma in tenant au point de vue psychologique ; nous reconnaîtrons que, même à son état le plus élémentaire, la fonction mentale enveloppe déjà un élément intellectuel, — à savoir la sensation proprement dite, abstraction faite du « ton » agréable ou pénible qui en est inséparable. Dans toute sensation, en effet, il n’y a pas seulement plaisir ou peine, il y a le discernement spontané d’un changement intérieur ayant sa qualité propre, sa nuance parti culière ; voir n’est pas entendre ni toucher, et cela, indépendamment du plaisir ou de la peine que peuvent causer les sensations du tact, de l’ouïe ou de la vue. Même dans le domaine de la jouissance ou de la souffrance, encore faut-il que l’être discerne l’une de l’autre pour pouvoir préférer l’une à l’autre. Toute préférence enveloppe donc un discernement, de même que tout discernement aboutit à une p référence ; et si la préférence est le germe de la volonté, le discernement est le germe de l’intelligence. Il est très vrai qu’à l’origine c’est le côté affectif, plaisir ou peine, qui remporte dans la sensation. Si une amibe éprouve un changement de température, il est probable qu’elle en jouit ou souffre : de même si elle subit une pression extérieure ; de même encore si ses fluides internes lui apportent une nourriture suffisante ou insuffisante. Mais les psychologues se sont demandé avec raison si l’amibe elle-même ne discernait pas la pression extérieure de la nutrition intérieure, ou encore le chaud du froid. En tous cas, elle a des préférences visibles pour telle température, tel fluide nutritif, telle