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reposer son orchestre pendant quelques minutes : « Je ne pouvais me tenir debout, et je craignais que le bâton ne s’échappât de mes mains… »

Sous le nom de types où prédomine « l’association par contraste », M. Paulhan décrit, non sans finesse, les caractères chez qui la lutte des tendances n’aboutit pas à l’harmonie, ces hommes toujours « occupés à défaire ce qu’ils ont fait ou ce qu’ont fait les autres, et à vouloir essayer autre chose que ce qu’ils font »[1]. Il est des gens chez qui une idée ne peut naître, chez qui un désir ne peut surgir sans qu’une idée opposée, sans qu’un désir contraire viennent arrêter leur développement. Ce n’est plus de la réflexion et de l’examen, « c’est une lutte continuelle avec prépondérance alternative de deux tendances ou de deux groupes de tendances[2] ». L’observation est juste, mais nous ne saurions voir là une « association par contraste ». Il semble que la vraie raison des caractères inquiets, capricieux, mobiles, contrarians, protéiformes (si fréquens parmi les sensitifs, même intelligens), c’est que leur système cérébral et nerveux, toujours en agitation, mais épuisé sur un point par la passion du moment, se met à vibrer sur un autre point non épuisé encore ; si bien qu’ils sont ballottés d’un contraire à l’autre. M. Paulhan a marqué lui-même chez Flaubert la disposition au contraste et même à « l’inversion psychique », chose fréquente chez les nerveux et les sensibles, en qui un sentiment est assez vite remplacé par un sentiment contraire, et qui, alors même qu’ils résistent à ce dernier, ne peuvent s’empêcher d’en être obsédés. De là, chez Flaubert, la fascination de ce qu’il hait le plus, la bêtise et la laideur morale ; de là le goût du bas, du vicieux et même de l’horrible. « Je suis né avec un tas de vices qui n’ont jamais mis le nez à la fenêtre, j’aime le vin, je ne bois pas. Je suis joueur et n’ai jamais touché une carte. La débauche me plaît et je vis comme un moine. » Bouilhet lui disait souvent : « Il n’y a pas d’homme plus moral, ni qui aime l’immoralité plus que toi. Une sottise te réjouit. »

Chez Musset, nature moins forte que Flaubert, les contrastes et les métamorphoses de la passion deviennent chroniques. « Un quart d’heure après l’avoir insultée, dit Musset, j’étais à ses genoux ; dès que je n’accusais plus, je demandais pardon ; dès que je ne raillais plus, je pleurais. » — « Il obéissait, dit George Sand, à cet inexorable besoin que certains adolescens éprouvent de tuer ou

  1. F. Paulhan, Les Caractères. Alcan, 1894.
  2. En général, les « lois de l’association », sur lesquelles M. Paulhan fonde sa classification des caractères, nous paraissent extérieures et superficielles.