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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/840

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admettre des nombres bien plus grands encore. Selon les uns, chaque cellule est capable de plusieurs impressions coexistantes ; selon d’autres, d’une seule polarisation, qui sert de base à l’habitude et au souvenir. Ce qui est certain, c’est que chacune peut entrer avec les autres dans les combinaisons les plus nombreuses et les plus variées, comme les lettres de l’alphabet ou les notes d’un piano. S’il y a cent touches et qu’elles soient frappées deux par deux, vous avez déjà quatre mille neuf cent cinquante combinaisons possibles ; frappez trois touches à la fois, les combinaisons atteindront le nombre de cent soixante et un mille sept cents ; cinq touches ensemble donneront 75 287 520 combinaisons. Si on va jusqu’aux ensembles de 50 notes, le total demanderait 30 chiffres, c’est-à-dire des milliards de milliards. Il faut remarquer en outre que le piano, après qu’on en a joué, reste le même, tandis que le cerveau a été modifié. On voit par là ce que l’expérience et le raisonnement peuvent produire, dans quelles combinaisons nouvelles ils peuvent faire entrer les élémens de l’esprit et du caractère même.

L’exercice de l’intelligence constitue, pour ceux dont le cerveau y est prédisposé, une satisfaction telle que la tendance à penser devient en eux prédominante. Le désir de connaître, lui aussi, devient une passion. Notre activité n’est pas tout entière extérieure : comme il y a des gens avides d’exercices physiques, il y en a d’autres avides d’exercices intellectuels. « J’aimais à aimer, » disait saint Augustin ; d’autres aiment à agir, d’autres aiment à penser. Ce sont les intellectuels.

Pour exclure les intellectuels du nombre des caractères primordiaux, on a fait observer que l’intelligence n’a qu’un développement tardif. Mais, outre qu’elle est présente dès le début de révolution humaine, qu’importe que sa domination exige du temps pour s’établir ? Cette domination est préparée en tout cerveau fait pour comprendre et pour trouver son plaisir à comprendre. Un Victor Hugo a beau ne pas faire des vers dès le berceau, il n’en est pas moins né poète. Il y a des tendances essentielles à la perpétuité de l’espèce qui ne se manifestent pas immédiatement et qui n’en sont pas moins « caractéristiques. » A vrai dire, chez les intellectuels, l’intelligence montre dès le début sa vitalité et sa force. Elle concourt avec la sensibilité même pour former peu à peu le caractère et pour l’orienter finalement vers l’intellection. S’il y a des esprits chez qui les idées n’ont presque pas de prise, il y en a d’autres qui trouvent tout d’abord dans les idées une suprême jouissance. Un Descartes, un Pascal se montrera, dès l’enfance et l’adolescence, amoureux de toutes les choses de la pensée ; chez