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nationales. On hurle des motions enthousiastes… Dans cette salle allumée par les flammes de la débauche patriotique, soudain, terrifiante, effroyable, tombe la nouvelle de la défaite. Le récit est poignant :

« Tine répondit, — elle ne sut comment, car sa voix s’étranglait : « — On dit… on dit qu’ils ont évacué Dannevirk !

« — Comment ! quoi ? cria le pasteur.

« Tine ne voyait que lui ; elle n’apercevait que ce visage, pâle comme un linge, qui la dominait. Tout le reste avait disparu. Mais elle était hors d’état de répondre, et lui montra du doigt son père assis, comme frappé d’apoplexie, sur l’escalier, près de la chandelle abandonnée.

« — Eh ! l’homme, que dites-vous là ? cria le pasteur. Etes-vous fou ? — Et lui-même tremblait si fort qu’il avait peine à se tenir debout. Mais le sacristain n’entendait pas ; il ne savait qu’une phrase qu’il bégaya deux fois, comme un idiot : « partis ! partis ! » et il essaya de lever sa main, qui tenait une enveloppe, une dépêche que le pasteur prit, lut et laissa tomber. Immobile et droit sur une marche de l’escalier, les mains raidies, il dominait tous les autres qui s’étaient rués vers lui… Il s’écoula peut-être une demi-minute sans qu’un mot fût prononcé. Alors l’intendant de Vollerup, qui tremblait comme une feuille, se jeta contre le mur et se mit à le frapper de ses poings fermés, en sanglotant comme un fou, et on les entendit pleurer tous à la fois, pâles, impuissans, désespérés. Et dehors on entendait pleurer les servantes, et les cochers s’en retournaient silencieusement à leurs attelages.

« Subitement, une commotion sembla traverser le doyen, qui se leva, et, se dressant au milieu de son troupeau, dit : — Cette nuit on a trahi le Danemark ! — Et comme s’ils eussent voulu couvrir de ce mot leur honte et leur misère, comme si cette misère impuissante eût trouvé là une consolation, tous, le visage en feu, dans un flux désordonné de paroles se mirent à hurler : « Trahison ! trahison ! »

Cependant, la nouvelle est trop vraie. Bientôt arrivent les premiers fuyards, puis les blessés, puis l’armée, souillée de boue et de sang, affamée, exténuée, le désespoir au cœur, — troupeau humain échappé du charnier. Les soldats envahissent le village, s’entassent dans les maisons ; s’installent, en un mot, pour la campagne. Vollerup se trouve en effet en deuxième ligne ; il ne s’agit plus maintenant que de défendre le sol de la patrie ; l’isthme et les îles sont barrés par des forts, et pendant qu’une partie des troupes se reposera, l’autre marchera au feu. Garde montante et descendante, comme dans une place forte ; si bien que Berg