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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/883

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— Il est parti, répondit-elle, en crispant ses mains à la porte. Et elle rentra, à son tour… Elle fit deux tours à travers la pièce, les yeux perdus, puis elle tomba assise près de la fenêtre ouverte. Le jour était venu, les alouettes montaient sur la plaine, l’air était plein de chansons, de parfums, de lumière ; le soleil estival rayonnait dans le ciel infini. »

Ils ne se revoient jamais, jamais plus. Ils se sont compris sans se rien dire ; ils veulent rester sans péché et mourir. Oh ! oui, mourir. À cette immense douleur, il n’est qu’un remède, infini comme elle. Pour de telles cimes, le monde est trop petit, le monde qui ne connaît que les réalités grossières et les ignominies de la chair. Et pendant qu’il s’en est allé bien loin, bien loin, elle ne sait où, car il ne veut même plus écrire, Kathinka souffre et se meurt. Tout est parti, l’amour envolé, et les jours, les jours, les jours se succèdent, toujours semblables et toujours mornes. Nul ne connaît ses souffrances ; elle a des amis, et cependant elle est seule. Toutes les bassesses mesquines, toute la sottise des existences étroites, tous les vices secrets qui se cachent dans l’ombre somnolente des petites villes, l’environnent ; et dans ce coin ignoré du monde, fidèle image de l’immense univers, au bruit léger que font, en tombant dans le vaste silence des siècles, les menus incidens de la vie ; au milieu de ces êtres vagues, sans nom ni caractère, qui végètent dans une paix matérielle et inconsciente, triomphans d’égoïsme et de cruelle indifférence, et dont quelqu’un, peut-être, dans une autre maison de la bourgade, exhale une douleur ignorée aussi, pleure en secret, dans l’ombre, face à face avec la destinée qui n’entend pas, Kathinka agonise d’amour, solitaire et résignée. Résignée ! N’est-ce pas en effet le sort commun, que le sien ? Il n’y a rien dans la vie. Des hommes viennent, travaillent pour manger ; des femmes viennent, pour planter des générations dans la terre, l’aurore de la délivrance ne luira pour eux que quand les uns et les autres ne pourront plus la voir, quand ils seront étendus immobiles, les yeux clos, le nez en l’air, à tout jamais. Et voilà la fin des choses et la dernière raison du monde.

Pourtant, elle a une révolte, une révolte furieuse contre cette divinité sans oreilles et sans cœur, accroupie sur l’humanité ; elle s’emporte dans une aspiration farouche vers des réalités qu’elle ignore, mais qu’elle espère et dont elle rêve, où peuvent fleurir enfin les puissances infinies qu’étouffe en nous la navrante misère de la vie. Elle est revenue dans sa ville natale, elle visite le cimetière où dorment ses parens. « Elle s’assit sur le petit banc, sous les deux arbres ; elle regarda longtemps la pierre morte, les lettres mortes, et se dit qu’à présent tout était perdu, même la maison de sa jeunesse. Subitement elle se demanda : « Ceux qui sont là se